Année 1838 |
12 février 1838
Henri Lacordaire à Alfred de Falloux
Metz, 12 février 1838
Monsieur et cher ami,
J'ai beaucoup tardé à vous remercier des bons offices que vous avez accumulés sur mon pauvre cœur comme un fardeau précieux. Un voyage que je viens de faire à Strasbourg en a été la cause. Je vous donne sous le secret tout ce que je vais vous dire, excepté pour Mme Swetchine. J'ai vu M. Bautain1 pendant deux jours, Mgr de Trévern2 et deux ecclésiastiques constitués en dignité. Il m'a été visible que tout accord était impossible à Strasbourg, Rome seul était donc le remède3. M. Bautain l'a accepté de bon cœur et a écrit immédiatement au ministre pour demander un congé. Dès qu'il aura reçu, il partira. La lettre de M. votre frère4, loin de le décourager lui a fourni au contraire un motif nouveau, en lui parlant du tribunal de révision établi à Rome pour les ouvrages qu'on veut y imprimer. M. Bautain, au moment même où je traitais cette affaire avec lui, commençait l'impression d'un ouvrage de philosophie en six volumes5, qui lui a coûté dix-huit à vingt ans de travaux. Il a arrêté tout court l'impression et emporte son manuscrit à Rome. Cette preuve de sa bonne foi et de sa soumission me paraît grande. Ce nouveau livre est une occasion naturelle de rectifier les anciens je crois que le Saint-Siège, avec son habileté et sa bonté ordinaire, ne peut manquer de la saisir. Maintenant faut-il prévenir M. votre frère du départ de l'abbé Bautain et de la situation des choses ? Je n'en sais rien. Peut-être vaut-il mieux que M. Bautain arrive sans être attendu. Je remets à M. Bautain des lettres qui, étant connues, peuvent modifier les esprits à son égard, et peut-être avant qu'on ne les eût lues. Serait-il à craindre que ce voyage ne causa quelque ombrage. Causez-en avec Mme Swetchine, qui est l'ange du grand conseil, et résolvez entre vous ce qui conviendra, mais sous le plus grand secret pour les autres. Le seul obstacle qui suspendrait le voyage de M. Bautain serait un refus de congé qui est plus qu'improbable et même impossible.
Je termine, Monsieur et cher ami, en vous renouvelant l'expression du plaisir que j'ai eu à vous voir. J'espère que ce ne sera pas la dernière fois dans ma vie. Agréé au ciment reconnaissance pour tout ce que vous avez fait et croyez aux sentiments très distingués et affectueux avec lesquels je suis tout à vous.
H. Lacordaire
P.-S. - Veuillez présenter mes hommages respectueux à Mme de Falloux. Je rouvre ma lettre pour vous dire que le congé de M. Bautain est obtenu.