CECI n'est pas EXECUTE 3 septembre 1846

Année 1846 |

3 septembre 1846

Charles de Montalembert à Alfred de Falloux

La Roche-en-Breny1, ce 3 septembre 18462

Mon cher ami,

Je vous remercie de votre lettre, elle me satisfait complètement, je comprends et j'admets toutes les considérations que vous avez la bonté de m'y exposer. Je vous remercie encore plus de votre discours3, et surtout je remercie Dieu avec vous. Dans ce premier succès, avoué par le Journal des Débats lui-même, constaté par la réponse de M. Guizot4, je vois le gage évident de la protection de Dieu. Il vous impose de nouveaux devoirs, en manifestant aux yeux de tous la mission qui vous est confiée. Votre péroraison sur le véritable caractère d'un gouvernement libre est un chef-d'oeuvre d'éloquence de bon sens. Jamais M. Guizot n'a rien dit de plus vrai et de plus juste dans ses meilleurs moments. Quelle gloire pour vous que d'avoir pu, dès le premier jour, remporté cette palme qui se fait souvent si longtemps attendre. Je ne saurais vous dire combien je jouis de cette gloire : il s'y mêle un sentiment d'égoïsme dont je ne me défends pas. Cette gloire fait désormais partie de notre patrimoine, à nous catholiques avant tout. Comme je vous le disais en commençant, je comprends parfaitement toutes les difficultés et toutes les exigences de votre position, vis-à-vis de vos électeurs et vis-à-vis de vous-même. Mais je n'en soutiens pas moi qu'entre vous et nous il n'y a plus qu'un fait et un nom : il y a plus de droit ; car vous et tous les hommes distingués de votre parti vous n'hésitez pas à mettre le droit de l'Eglise et le droit du pays au-dessus du droit héréditaire de la royauté. Cela suffit pour creuser un abîme entre vous et les vrais royalistes, ceux de 16825 et de 18146, ceux que vous et moi nous avons si bien connu avant et après 1830. Maintenant, sur cet abîme il y a une sorte de pont où l'honneur semble vous obliger de prendre position.

Encore une fois, pardonnez-moi cette libre expression de ma sollicitude pour vous et pour la cause que nous servons tous deux. Elle a tant besoin de bons serviteurs ! Mais sachez bien qu'avant tout et quel que soit l'avenir de nos relations politiques, je jouis profondément de vos succès actuels et de ce que chaque jour vous apportera désormais. Vous avez bien raison de vouloir travailler par-dessus tout à votre affaire de député : d'ici à dix ans, ce doit être tout pour vous.

Laissez-moi mettre aux pieds de Mme de Falloux ma respectueuse sympathie pour son bonheur et croyez à mon tendre et sincère dévouement.

Le comte de Montalembert

Je veux que vous disiez expressément à Madame Swetchine que je jouis pour elle et avec elle de ce cher succès.

M.

Mme de Montalembert exige que je vous parle d'elle et de sa joyeuse admiration pour ce beau début.

Notes

1Situé en Côte d'Or, sur la commune du même nom, le château  de La Roche en Brenil (orthographe actuelle) est devenu, en 1841, propriété du comte de Montalembert. Il appartient aujourd'hui encore à l'un de ses descendants.
2Lettre publiée par Le Figaro du 13 mai 1911 à l'occasion du centenaire d'A. de Falloux.
3Le 31 août 1846, la chambre des députés ayant invalidé l'élection de M. Drault (collège de Poitiers) pour avoir accepté et signé le mandat impératif qui lui avait été imosé par le parti légitimiste, Falloux, nouveau député de la Chambre, avait fait une intervention remarquée pour prendre la défense du mandat impératif.
4Membre de la majorité ministérielle, F. Guizot répondit à A. de Falloux en faisant valoir que le mandat impératif abolirait la liberté des députés. L'invalidation de l'élection de M. Drault fut confirmée par la majorité des députés et avec elle le rejet du mandat impératif.
5Convoquée par Louis XIV, l'Assemblée du clergé vota le 19 mars 1682 une Déclaration des quatre articles qui se prononçait contre l'infaillibilité du pape et prenait la défense du droit divin des rois.  
6Allusion sans doute à l'opposition des ultras royalistes qui protestèrent contre les concessions faites aux libéraux dans la Charte constitutionnel octroyée par Louis XVIII le 4 juin 1814.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «3 septembre 1846», correspondance-falloux [En ligne], Monarchie de Juillet, Années 1837-1848, Année 1846, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 08/10/2013