CECI n'est pas EXECUTE 4 décembre 1855

Année 1855 |

4 décembre 1855

Pierre-Antoine Berryer à Alfred de Falloux

Paris, [5 décembre 1855]1

Mon bon ami, je suis rentré à Paris depuis quelques jours et j'arrive en ce moment du service qui a été célébré dans Saint-Philippe-du-Roule pour le repos de l'âme de M. Molé2. Comme vous j'ai été vivement frappé de cette grande perte ; je regrette beaucoup la bienveillance affectueuse dont il m'honorait; je regrette surtout dans l'intérêt général l'influence qu'il exerçait si utilement et qu'il devait exercer longtemps encore. C'est un centre de relations brisé dans les circonstances où il était énormément nécessaire ; et ne pourra guère être suppléé. Dès jeudi dernier il a été fort question de ce fauteuil vacant à l'Académie. J'ai entendu M. Guizot et M. de Noailles dire que la famille de M. Molé souhaitait que son éloge vous fut confié3. Ces messieurs disaient qu'à leur avis vous devriez accepter cette succession. Mais, dis-je, on ferait donc les deux élections en un même jour et l'ont reconnu qu'en tout cas il fallait que les choses se passassent ainsi. On ajoutait que la double élection aurait lieu en février, après qu'auraient été reçu M. Legouvé4, à la mi-décembre, M. de Broglie5, à la mi-février. Votre élection, répétait-on, est assurée ; M. Saint-Marc Girardin6 arrivant à la cheminée pendant cette causerie, dit très fermement que si les successeurs de MM. Molé et  Lacretelle7 étaient nommés en un même jour, un plus grand nombre de voix se réuniraient pour vous appeler à remplacer M. Molé. Depuis ce jour je n'ai rien entendu dire. On n'en pouvait pas ouvrir la bouche ce matin, mais la question sera certainement remis sur le tapis et jeudi prochain. Quant au parti que vous avez à prendre, je vois bien quelque inconvénient à changer votre candidature et à passer de la succession de M. Lacretelle à celle de M. Molé ; mais l'inconvénient me paraît petit si les deux élections ont lieu en une même séance. Il y a beaucoup plus à réfléchir pour vous sur le choix des deux sujets. La position de M. Molé, son caractère, la direction qu'il a suivie et je peux dire, imprimée dans ces derniers temps, trouveront en vous un panégyriste plus éloquent, plus sympathique, plus éclairé que tout autre. Mais il faut aussi parler d'autres époques, et la matière devient difficile à manier pour vous, lorsqu'il s'agit de la grande part que M. Molé a prise au gouvernement de Juillet. Cependant, du point où nous sommes et en face de l'avenir qui nous est disputé, n'est-ce pas une grande occasion d'expliquer la conduite, les sentiments, les raisons d'agir de quelques hommes, placés ci-haut dans le pays, par leur origine, par leur éducation, par les traditions et les exemples de leur famille, en face des révolutions où les pouvoirs, les gouvernements ayant manqué au pays, cette France a été exposée à de si grands périls ? M. Molé est issu du Procureur général de la Ligue8, qui fit décider par arrêt du Parlement que la couronne ne pouvait être dévolue ni à femme ni à  prince étranger. Il est de cette haute race parlementaire qui se posait entre le roi et le peuple. Il me semble qu'il y a un noble et utile langage à tenir dans la bouche d'un homme qui, comme vous, n'a pas fléchi et tenté des expériences, mais n'était pas non plus en position de prendre un parti actif au fort de ces violents événements. Pensez-y, nous en causerons. Il y a de grands égards à voir pour les désirs d'une telle fille et d'un tel gendre. Je vais écouter ce qu'on dira, je vous en rendrai compte, me bornant dans les conversations à suspendre toute détermination, jusqu'à ce que vous soyez ouï.

Mille amitiés.

Berryer

Notes

1La date nous est donnée par le décès, le 23 novembre 1855, du comte Molé.
2Célébrées dans l'intimité de la famille à Champlâtreux, le 28 novembre 1855, les obsèques du comte Molé furent suivies d'un service solennel dans sa  paroisse parisienne de Saint-Philippe-du-Roule.
3Désireux d'entrer à l'Académie française, A. de Falloux acceptera d'y prendre la succession du comte Molé.
4Élu le même jour que Victor de Broglie, le Ier mars 1855, Ernest Legouvé fut reçu le 28 février 1856.
5Victor de Broglie fut reçu à l'Académie le 3 avril 1856.
6Saint-Marc Girardin était membre de l'Académie depuis 1844.
7Le scientifique Jean-Baptiste Biot, successeur de Charles Lacretelle jeune, mort le 26 mars 1855, sera élu le même jour qu'A. De Falloux, le 10 avril 1856.
8Le comte Molé était un descendant d'Edouard Molé (1540-1615), conseiller au Parlement de Paris, nommé malgré lui par la Ligue procureur général.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «4 décembre 1855», correspondance-falloux [En ligne], Année 1855, Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES,mis à jour le : 20/09/2013