CECI n'est pas EXECUTE 3 janvier 1853

Année 1853 |

3 janvier 1853

Pierre-Antoine Berryer à Alfred de Falloux

3 janvier 1853

Mon bon ami, j'ai dû attendre pour répondre à votre lettre que j'eusse vu et M. de Jouvenel1 et M. de Riancey. Celui-ci m'a montré le dernier mot qu'il a reçu de vous et dont il ne fera usage, suivant votre recommandation, que si l'autre faisait ou laissait faire quelques publications relatives à la lettre qu'il vous a adressée. Mais d'après ce qu'il m'a dit de ses intentions, je suis à peu près certain qu'aucune publication n'aura lieu et que cette affaire restera où elle en est. Je le regrette un peu, car votre réplique est excellente et je souhaiterais qu'il y eut bonne occasion de la mettre au jour.

J'ai presque à vous gronder du soin que vous prenez de me dire que vous aviez à peine regardé l'épître de Jouvenel et que vous n'aviez pas même aperçu le passage qui me concerne. Gardez-vous bien, mon ami, de croire jamais que je puisse mettre en doute votre bonne amitié, et votre bienveillante et constante disposition à écarter ou réfuter tout ce qui pourrait être ou injuste ou injurieux à mon égard. Dans l'occasion présente, je dois même vous dire que je ne suis pas mécontent de cette constatation de la réserve que je garde et du silence que j'observe, pour ne pas me mettre en lutte contre une marche politique que je n'approuve point et pour ne pas lui donner un appui que ma conscience et mon intelligence ne me permettent pas de donner.

Au fond des choses, maintenant qu'on est arrivé à compléter l'oeuvre dont la préparation était l'objet de tant d'efforts et de tant de combinaisons diverses, maintenant que les esprits tenus en suspens dans l'attente de cet événement, n'ont plus qu'à examiner et apprécier les résultats, on commence fort à être peu satisfait et même inquiet des conséquences ; dans les gens qui avaient tant de laisser-aller, pénètrent déjà les défiances, les mécontentements, les alarmes ; on voulait ou croyait vouloir de la stabilité, on sent qu'il n'y a rien que de précaire dans tout ce qui est ; et l'enveloppe magnifique sous laquelle on veut masquer la pauvreté de l'établissement, n'éveille que l'idée d'une série de masques et le mot de saturnales presse de très près tout le monde officiel. Je crois à un assez prochain retour des esprits contre ce qu'on n'a pas voulu empêcher. Quels en seront les suites ? Mon ami, elles m'effrayent pour ce pays, tant que je ne verrai pas que par une conduite intelligente et ferme, par une entente sincère et généreuse, il se constitue une force morale, une éventualité désirable qui présente aux intérêts une ressource, aux consciences honnêtes une sécurité et une force, Dieu veuille dans ce péril commun éclairer et rapprocher les éléments du bien si malheureusement encore divisés et flottants.

À peine me donnez-vous des nouvelles de votre santé, et c'est mon premier besoin quand il me vient un mot de vous. Je me persuade que l'indisposition dont vous étiez souffrant ces jours-ci n'aura été que trop passagère. Recevez, mon ami, tous mes vœux, mes vœux les plus ardents et les plus sincères pour tout ce qui vous touche et croyait bien fermement à montrer cordial attachement. Veuillez dire mes respectueux hommages à Madame de Falloux. Mille amitiés.

Berryer

Notes

1Léon de Jouvenel est alors député bonapartiste. Légitimiste sous la Monarchie de Juillet, il avait été secrétaire de Berryer. Il s'était présenté en 1846 comme candidat légitimiste en faveur de la liberté de l'enseignement.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «3 janvier 1853», correspondance-falloux [En ligne], Année 1853, Année 1852-1870, Second Empire, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES,mis à jour le : 08/12/2011