CECI n'est pas EXECUTE 5 août 1860

Année 1860 |

5 août 1860

Francisque de Corcelle à Alfred de Falloux

Essay1, 5 août 1860

Votre bonne lettre, mon cher ami, m'est parvenue ici où j'étais accouru en grande hâte pour prendre ma part de nos joies de famille. Ma fille2 est la meilleure nourrice de Normandie. La petite Thérèse qui nous est née le jour de Saint-Pierre, pousse en parfaite santé ; François jouit à nous ravir de sa dignité d'oncle et, comme Saint-Joseph, ne quitte pas le berceau. Mon gendre3 est fait pour nous. Enfin, cher ami, notre bonheur et si complet qu'il ne serait un sujet d'effroi si la douceur de ce que nous éprouvons et de continuelles actions de grâces laissaient quelque place à un autre sentiment. Je suis pourtant un peu sur la branche ; j'ai promis de ne pas trop m'attacher à ces vrais biens, et j'ai d'ailleurs fait d'abondantes récoltes qu'il faut mettre en lumière maintenant que les affaires courantes les plus graves ne m'absorbent plus. Que j'aimerais à causer à fond avec vous de tout ce qui m'a tant intéressé et ému ! En résumé, j'ai lieu de me féliciter de ma longue absence, de mes vives préoccupations, et de mon séjour sous un toit vénéré. Les services rendus par le S[ain]t P[ère] sont immenses et le grand coeur qu'il y a mis mérite la plus entière admiration. Tout est changé dans les administrations les plus importantes. Si tout n'est pas terminé, une impulsion nouvelle a du moins commencé à vivifier ce qui était en souffrance. La fin de cette tâche ne peut s'accomplir que dans la paix ; mais combien il importait de préserver un si saint établissement des plus urgents périls ! La petite armée4 naguère éparpillée est maintenant fortement concentrée, très mobile et pleine de foi en elle-même. L'émeute intérieure et l'irruption des bandes irrégulières venues du dehors ne sont plus possibles. Il faudrait l'agression a découvert d'un État pour achever la destruction du pouvoir temporel de la papauté. Naples, sous ce rapport, doit être encore un sujet d'inquiétude ; mais si l'Europe laisse à la révolution et à la conquête la faculté de franchir les limites méridionales des Etats Pontificaux, ses affaires ne tarderont pas à se compliquer horriblement. Elle semble se raviser quoique d'une façon incomplète. L'exemple de fermeté donné là a porté ses fruits. On a gagné du temps au milieu d'une ruine imminente, jusqu'au moment où il a été démontré aux puissants que les soulèvements étaient la révélation de la défaillance du pouvoir lui-même plutôt que le témoignage des forces réelles du mal ; que le prétendu voeu des populations couvrait un impudent mensonge, et qu'enfin la non-intervention, comme on la réclame encore, n'a été jusqu'à présent que la libre intervention du désordre étranger à l'intérieur, et au-dehors la plus vile adhésion au fait accompli dont on a été complice. Rien n'est fini, j'en conviens ; mais quel changement ! L'Europe obligée de souffrir pour ce qui lui semblait indifférent ; le masque de l'hypocrisie arraché, et comme plus triste épreuve la certitude de succomber passagèrement et noblement. Voilà ce qu'a produit la résolution si bien secondée du S[ain]t-Père. Le S[ain]t-Esprit continuera son oeuvre. Je ne parle pas des détails. Le côté regrettable en est bien exagéré. Le fond des choses est aussi honorable qu'invulnérable au point de vue du droit. Nous seuls avons le privilège d'exprimer nos voeux en famille. Ce que je reproche à certains de nos amis c'est de ne pas sentir que d'abord la femme de Sganarel doit vouloir être battue devant ses voisins malveillants, et qu'en second lieu elle n'est pas trop battue. Que d'étourderies j'ai relevées ! Voici ce qui est arrivé au sujet du don si noble et si généreusement filial dont vous parlez. M. de Krimi5 vint l'offrir par l'entremise de <mot illisible>. Il était tard et son départ devait avoir lieu le lendemain. Comme il avait besoin de rapporter une acceptation à celle qui l'avait envoyée, mon cousin me chargea de la demander au S[ain]t-P[ère] qui me reçut immédiatement au moment où il allait se coucher. La réponse fut pleine de gratitude et Mme la d. de P. aurait été heureuse des expressions qu'il m'a été donné d'entendre. Mon cousin a su le lendemain de très bonne heure cette acceptation qu'il a dû transmettre à M. de Krimi pour son retour en Suisse ; il m'a témoigné également la plus grande admiration et reconnaissance. Je n'ai pas douté que sa réponse à lui ne fut écrite. A-t-il jugé prudent de se borner à une réponse verbale ? Était-il accablé, à ce moment par les innombrables affaires qui ne lui laissent de repos ni jour ni nuit ? Je l'ignore ; mais son sentiment ne peut-être douteux. Quoi qu'il en soit, je lui ai fait savoir aussitôt votre information. Nos volontaires français se réduisent à environ 200 tant dans les guides à cheval que dans l'excellent corps Bec de Lièvre et Charette6. Mêlée aux Belges, cette troupe ne dépasse pas 300 hommes. C'est peu, et l'on n'a rien négligé pour l'accroître ; mais on a dû résister aux prétentions de ceux qui arrivaient avec le désir de porter l'épaulette pour commander un si petit nombre de soldats. Les autres corps avaient, comme de raison, des officiers parlant leur langue, et les rares vacances ont dû être accordées aux premiers arrivés. On a résisté aussi aux manifestations d'opinions qui auraient nui au S[ain]t-Siège sous prétexte de le servir, aux projets de croisade accompagnés de certaines fantaisies contraires à la discipline générale comme la dispense d'une partie des manoeuvres et une organisation à part. C'est ainsi que les idées de M. de Cathelineau7 n'ont pas été accueillies. On n'a pas voulu sacrifier à ses demi-soldats, le corps sérieux et dévoué de M. Bec de Lièvre, ni détourner pour des chimères, les dons catholiques. De la bien des mécomptes et des médisances. Tenez pour certain que rien n'est plus frivole et puéril. Un Monsieur de Cornouillé8 a débité mille sottises et affiché des vanités que j'ai été obligé de réprimer. Je l'ai fait vigoureusement avec l'approbation du Saint-Siège. Si nous avions cédé à un sot esprit de parti qui aurait compromis notre cause, nous aurions manqué à nos premiers devoirs. Il a fallu des efforts pour conjurer le mal auprès de ceux qui nous surveillaient. Le récit de votre dernier voyage m'intéresse vivement. Je n'ai jamais douté de la modération ; mais une société étroite, exclusive, perd tout. La première des sociétés et la famille que l'on a.

Adieu cher ami je n'ai que la place de vous embrasser. Accusez-moi réception, je vous prie.

F. de Corcelle

J'ai vu aussi M. Sacy9 à mon passage à Lyon et j'ai été fort satisfait de tout ce qu'il m'a dit. C'est un <mot illisible> excellent. Je compte aller passer 24 heures chez notre ami Alb[ert] de Bro[glie] dans peu de jours.

Notes

1Commune de l'Orne où est situé le château de Beaufossé, propriété de la famille Tircuy de Corcelle.
2Marthe de Chambrun, née de Corcelle venait d'accoucher d'une petite fille prénommée Thérèse.
3Adolphe de Chambrun.
4Il s'agit de l'armée des Zouaves pontificaux organisée par le général Lamoricière pour la défense des Etats pontificaux.
5? orthographe peu sure.
6L'un et l'autre sont à la tête de la petite armée des Zouves pontificaux, le comte de Becdelièvre comme commandant, de Charrette comme capitaine.
7Cathelineau, Henri de, comte (1813-1891). petit-fils du « Saint de l'Anjou », il tenta de constituer un corsp franc de Vendéens au sein de l'armée des Zouaves pontificaux.
8?
9Sacy, Samuel Ustazade Silvestre de (1801-1879), journaliste et écrivain. Fils du célèbre orientaliste, le baron Antoine S. de Sacy, il collaborateur au Journal des Débats de 1828 à 1848, puis administrateur de la Bibliothèque Mazarine. Bien qu'adversaire du régime impérial, ce catholique devint fut élu au Sénat en 1865. Elu à l'Académie française le 18 mai 1854, il y fut reçu le 28 juin 1855. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, notamment Variétés littéraires, morales et historiques, Paris, Didier, 1858, 2 vol.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «5 août 1860», correspondance-falloux [En ligne], BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Second Empire, Année 1852-1870, Année 1860,mis à jour le : 04/04/2013