CECI n'est pas EXECUTE 16 mai 1849

Année 1849 |

16 mai 1849

Jean-Jacques Ampère à Alfred de Falloux

16 mai 1849

Monsieur le Ministre,

Vous savez ce que j'ai perdu. Celle1 que tout le monde pleure aujourd'hui m'honora durant trente années d'une amitié qui a fait le charme et la gloire de ma vie et qui est aujourd'hui le désespoir. L'attachement profond et sacré que je lui portais m'empêchait de m'apercevoir que je n'avais point de famille. Je me réveille aujourd'hui orphelin et seul sur la terre. Dans cet anéantissement qui brise toutes mes facultés et me rend tout travail impossible. La pensée de mes amis en tête desquels je place M. et Madame Lenormant2 est qu'un voyage peut seul me redonner la force nécessaire à mes travaux et je sens en effet que c'est un besoin impérieux pour moi de tenter de ce moyen de retrouver l'activité qui m'est nécessaire pour l'accomplissement de mes devoirs.

Par ces motifs, et j'ose espérer que le cœur de M. de Falloux les appréciera, j'ai l'honneur, Monsieur le ministre de vous demander un congé de trois mois pour ma fonction de conservateur à la bibliothèque Mazarine, fonction que vous avez bien voulu me confier, du reste le service n'en souffrira point, et il me sera facile de faire plus tard pour mes collègues celui qu'ils auront fait pour moi.

J'ai l'honneur de vous demander aussi, Monsieur le ministre de vouloir bien me dispenser pour la fin de ce semestre des leçons qui me resteraient à faire au Collège de France. Le nombre n'en est pas considérable puisque les cours finissant avec le mois de juin l'usage s'étant introduit de reporter à cette époque la moitié de la vacance d'un mois que le règlement accorde aux professeurs et dont ils ne prennent à peine plus que la moitié. Me permettez-vous d'ajouter, Monsieur le Ministre, que j'ose vous faire cette demande au nom de Madame Récamier3 qui voit en ce moment combien j'ai besoin de ce changement de lieu pour reprendre à la vie, autant qu'il est possible d'y reprendre désormais.

Agréez, Monsieur le ministre avec l'expression de ma reconnaissance l'hommage de mon profond respect et de mon dévouement sincère.

J.J. Ampère.

Notes

1J. J. Ampère était alors très affecté par la soudaine disparition de Mme Récamier victime du choléra quelques jours plus tôt (11 mai 1849). Le 18 mai, Ampère quitta Paris pour se rendre en Auvergne, auprès de Prosper de Barante, autre très vieil ami de Mme Récamier. De là, il se rendra à Toulouse puis à Bayonne pour gagner l'Espagne. Il ne devait revenir à Paris que le Ier novembre.
2Nièce et fille adoptive de Mme Récamier, Amélie Lenormant née Cyvot (1803-1893) lui consacrera, en 1859, une biographie comprenant plusieurs de ses lettres avec ses correspondants les plus illustres.
3Récamier, Jeanne Françoise Julie Adélaïde dite Juliette née Bernard (1777-1849). Amie de Mme de Staël et de Chateaubriand, figure importante de l'opposition au régime de Napoléon, elle tint un salon qui joua un rôle non négligeable dans la vie politique et intellectuelle de l'époque.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «16 mai 1849», correspondance-falloux [En ligne], Années 1848-1851, Seconde République, Année 1849, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 17/04/2012