CECI n'est pas EXECUTE 21 novembre 1863

Année 1863 |

21 novembre 1863

Prosper Guéranger à Alfred de Falloux

Abbaye de Ligugé1, ce 21 novembre 1863

La date de cette lettre vous expliquera pourquoi vous n'avez pas reçu plutôt l' accusé de réception de votre précieux envoi. Je suis absent de Solesmes2, et occupé à donner la retraite à nos confrères de Ligugé. J'avais bien aussi moi-même le besoin de vous s' exprimer, mon cher ami, tout l' agréable souvenir qui me reste des heures que j'ai passées au Bourg d'Iré dans des entretiens si remplis de charme, et au milieu des  soins d'une hospitalité si grâcieuse. Veuillez donc être mon interprète auprès de Madame de Falloux dont je n' oublierai jamais les bontés pour moi, et croire en même temps à toute ma reconnaissance pour tous les efforts que vous avez faits dans le but de suffire à nos longues et sérieuses causeries. Pour être aimable avec moi, vous avez refoulé le mal, et vous avez eu recrudescence, comme je m'y attendais. Puisse cette aggravation n'être pas de longue durée, et une période de repos et de loisirs s'ouvrir bientôt, apportant l' espérance d'une guérison parfaite ! Je me fais un véritable plaisir, mon cher ami, de vous retourner les deux fragments que vous m'avez adressés. J'admets de grand cœur vos observations, et je vous prie moi-même d'y faire droit. Je suis vivement touché que vous ayez compris le motif qui m' avait fait sacrifier le premier passage. Depuis 1853 qu'il3 a rompus avec moi, je n'ai pas manqué une occasion de reconnaître publiquement ses services, et je ne suis pas fâché que vous ayez été à même de constater que la préoccupation de ne le blesser en rien m'a suivi jusque dans les détails intimes. Je n'ai pas la pensée qu'il me revienne jamais ; du moins il sera vrai de dire que cette amitié de dix-huit ans qui ne lui était pas inutile, a été respecté par moi lors même qu'elle n' existait plus. J'aurais eu beaucoup à dire sur certains articles du Correspondant et sur la préface des Moines d' Occident4, la provocation étant vive ; mais je n'ai pas été tenté même un instant de répondre. Je vous ai dit, je crois que j' avais arrêté une lettre de Dom Pitra5 dans laquelle il repoussait l' hommage que lui avait fait de son livre l'auteur des Moines d'Occident. Mais puisque vous voulez, mon cher ami, prendre la responsabilité d'imprimer le fragment en question, je vous le livre. L'important est que le public découvre par, à travers l'X, le nom véritable de celui dont il est question, et il va sans dire que je vous en passe toute la responsabilité. Le second fragment vous est tout acquis, et je me fais un véritable plaisir de vous le livrer. Insérez-le donc aussi en son lieu et place, et comme vous le dites fort bien, on n'avait pas besoin de cet argument pour établir le fait d'un dissentiment continu entre le P. Lacordaire et moi. Les choses resteront en l'état où elles étaient auparavant, et le public y aura gagné quelques excellentes lignes de plus de Madame Swetchine. Vous aurez remarqué sans doute certains passages où elle se plaint un peu du P. Lacordaire. En constatant que je ne les avais pas reproduits dans ma copie, vous aurez eu une preuve de plus de mon attention à éviter ce qui pouvait blesser, et désormais vous avez la preuve acquise que décidément je vaux un peu mieux que ma réputation. Je ne saurais vous dire combien je suis heureux que vous ayez pu faire la confrontation des lettres ; c'est un véritable repos pour moi, et un dernier acquiescement de ma part à leur publication. Soyez donc le maître désormais ; je me rassurerais sur l'air de prétention que peut-être quelques-uns m'imputeront, en songeant que ces lettres serviront plus que d'autres à dévoiler l'un des côtés moins connus de l'âme de notre Sainte amie6. Je vous quitte, mon cher ami, en vous renouvelant l'expression de ma plus cordiale sympathie.

Fr. Prosper Guéranger, abbé de Solesmes.

J'ai fait votre commission à Mgr de Poitiers7, en lui racontant nos journées. Il m'a répondu que, si une circonstance favorable venait à se présenter, il accepterait bien volontiers l'hospitalité du Bourg d'Iré.

Notes

1Dépendant du diocèse de Poitiers, l'abbaye de Saint-Martin de Ligugé, l'une des plus anciennes implantations monastiques de France, mise en vente en 1852 par les descendants de l'acquéreur de 1793 fut racheté par Mgr Pie, évêque de Poitiers qui la confia à Dom Guéranger afin qu'il puisse y restaurer la vie monastique.  
2Située sur la commune de Solesmes, dans la Sarthe, l'abbaye de Solesmes doit sa renommée internationale à Dom Prosper Guéranger, restaurateur en 1833 de l'Ordre des Bénédictins en France ainsi qu'à la liturgie et au chant grégorien dont elle fut et demeure un des hauts lieux.
3Il s'agit de Charles de Montalembert.
4Ch. de Montalembert, Les Moines d'Occident depuis Saint Benoît jusqu'à Saint Bernard, Paris, Lecoffre, 1860, 2 vol.
5Jean-Baptiste Pitra (1812-1889), cardinal, archéologue et théologien. Ancien moine de Solesmes, il partageait l'hostilité de P. Guéranger à l'encontre du catholicisme libéral et plus particulièrement à l'égard du Correspondant.
6C'est ainsi que Madame Swetchine est nommée par certains de ses proches.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «21 novembre 1863», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, Année 1863, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 12/08/2012