CECI n'est pas EXECUTE 22 janvier 1861

Année 1861 |

22 janvier 1861

Prosper Guéranger à Alfred de Falloux

Abbaye de Solesmes1, ce 22 janvier 1861

Mon très cher ami,

Je suis un rien en retard pour vous répondre, et vous m'excuserez quand vous saurez qu'à l'arrivée de votre lettre que j'étais au chevet du prieur de l'abbaye, atteint d'une grave maladie qui nous l'a enlevé ces derniers jours.Je viens à vous aussitôt qu'il m'est possible, et c'est pour vous dire d'abord combien je suis enchanté que mes articles sur notre Sainte amie2 étaient de votre goût. J'ajouterai ensuite que je les tiens entièrement à votre disposition pour y prendre ce qui vous conviendrait. Je les ai écrits pour votre livre ; c'est votre bien. Malheureusement c'est un peu fait comme ma lettre par un homme pressé ; je n'ai pas revu les épreuves quant au style, et les fautes d'impression ne manquent pas. Je serais heureux si vous y trouvez quelque chose qui me soit utile pour la prochaine édition. Vous m'eussiez causé une grande joie mon cher ami s'il vous eut été possible de venir me les prendre à Solesmes comme vous en aviez formé le projet. J'en viens au rendez-vous que vous me proposez. Impossible à moi de quitter Solesmes d'ici l'été, par suite de travaux qui exigent de ma part la plus stricte résidence. Je ne pourrai donc vous aller joindre à Paris, séjour où d'ailleurs il n'est pas aisé de travailler, à moins de passer beaucoup de temps ; ce que je ne pourrais faire. Reste donc de se rabattre sur la campagne. S'il y avait cet été, ou cet automne, une semaine où vous n'auriez pas trop de monde au Bourg d'Iré, je m'arrangerais de manière, étant prévenu, à passer près de vous quelques jours, et nous causerions à fond de Madame Swetchine et de votre importante publication. Vous verrez dans le temps, mon cher ami, ce qu'il sera possible de faire. Vous m'avez fait espérer que vous pourrez me restituer ma correspondance. Comme je ne voudrais en aucune façon qu'il en fut publié une ligne, je recevrais mes lettres avec un grand plaisir, quand vous jugeriez à propos de m'en remettre en possession. Vous aurez été content de la lettre de Joseph de Maistre3 que je vous ai envoyée ; elle ne sera pas le moins bel ornement de votre prochaine édition. Parmi les prières, avez-vous les litanies de Notre Seigneur remaniées pour la dernière fois ? Madame Swetchine m'en adressa la copie définitive s'il vous est agréable je l'emporterais avec moi lors de notre entrevue. J'ai pris les informations à Juigné.

La vache est arrivée saine et sauve, quoique un peu fatiguée4. Elle paraît devoir aller à merveille. Je finis, mon cher ami, en vous offrant la nouvelle expression de mon sincère et dévoué attachement.

Fr. Prosper Guéranger, abbé de Solesmes.  

    

Notes

1Située sur la commune de Solesmes, dans la Sarthe, l'abbaye de Solesmes doit sa renommée internationale à Dom Prosper Guéranger, restaurateur en 1833 de l'Ordre des Bénédictins en France ainsi qu'à la liturgie et au chant grégorien dont elle fut et demeure un des hauts lieux.
2Prosper Guéranger avait écrit des articles rendant compte de l'ouvrage que Falloux venait de faire paraître sur Madame Swetchine, leur « Sainte amie », Madame Swetchine, sa vie et ses œuvres, Paris, A. Vaton, 2 vol.
3Joseph de Maistre  (1753-1821), philosophe. Savoyard, il était sujet du roi de Piémont-Sardaigne. Magistrat au Sénat de Savoie comme son père, il quitta la Savoie à l'arrivée des troupes françaises en septembre 1792 et se réfugia en Piémont puis en Suisse. Il publia, en 1797, son premier ouvrage Les considérations sur la France. Rentré en Italie en 1799, il fut chargé par le roi de Sardaigne de le représenter auprès du tsar. Il resta en poste à Saint-Pétersbourg jusqu'en 1817. Revenu en Italie, il mourut à Turin. Auteur de plusieurs ouvrages, Essai sur le principe générateur des constitutions politiques (1814), Du Pape (1819) et Les Soirées de Saint-Pétersbourg (ouvrage publié en 1821 peu après sa mort), De Maistre, comme De Bonald refusa tout compromis avec les principes nouveaux issus de la révolution. Joseph de Maistre et Mme Swetchine, sur laquelle Falloux écrivit une biographie, avaient lié connaissance en Russie.
4Éleveur de bovins, Falloux avait fait sans doute présent d'une vache à l'abbaye de Solesmes.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «22 janvier 1861», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, Année 1861, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 12/08/2012