CECI n'est pas EXECUTE 26 novembre 1881

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26 novembre 1881

Charles de Mazade à Alfred de Falloux

Paris, 26 novembre 1881

Monsieur le comte,

Vous métriez le comble à vos bonnes grâces en me faisant prévenir de votre arrivée à Paris, pour que je puisse aller aussitôt vous rendre nos devoirs. Je serai de toute façon d'aller m'entretenir avec vous. Vous m'avez parlé avec trop de bonté pour que je n'attache pas un grand prix à avoir l'honneur de vous voir. Je ne vous ai pas encore remercier de la dernière lettre que vous avez bien voulu m'écrire où j'ai vu une marque nouvelle de l'intérêt que vous avez la bonté de porter à ma candidature. J'ai eu l'honneur de passer l'autre jour quelques heures à Chantilly auprès de Mgr le duc d'Aumale. J'ai vu aussi M. le duc de Noailles. J'ai eu plusieurs entretiens avec M. le duc Pasquier, avec M. le duc de Broglie, avec M. le comte d'Haussonville1, avec M. Mignet, avec M. Doucet2 qui ne m'a pas caché qu'il avait reçu de vous une lettre flatteuse pour moi. J'ai trouvé partout une obligeance dont je suis touché, et il me semblerait que ma candidature ne serait pas sans de sérieuses chances, s'il n'y avait cette circonstance que vous connaissez, qui n'est point encore éclaircie. Cette circonstance, c'est la candidature de Mgr l'évêque d'Autun3 qui est encore incertaine. Dans une conversation tout intime et que je ne permet à mon tour de vous communiquer qu'à titre confidentiel, M. Doucet m'a dit il y a deux jours qu'il avait reçu le matin de Rome une lettre le priant de suspendre toute communication de candidature et lui annonçant en même temps le retour de Mgr Perraud en France. M. Doucet ne savait pas encore si cela signifiait suspension ou renonciation. Je ne me dissimule pas que la candidature de Mgr l'évêque d'Autun me créerait une position difficile, si elle se présentait. à part toute préoccupation personnelle dont je me sens capable de me dégager, je vous avoue que j'aurais des doutes sur l'opportunité  de cette candidature "qui ne peut se produire en ce moment-ci", c'est là je crois la vérité. La candidature de Mgr l'évêque d'Autun est de celles qui sont faites pour séduire et qui trouvent leur heure au moment précis, d'après ce que je vous et ce que je crois, elle soulève de vives contestations; elle inspire des craintes ou des doutes même à des amis qui la désiraient. Elle rencontre des résistances; elle sera jusqu'au bout laborieuse, peut-être entourée de circonstances pénibles, et c'est ce qui ne devrait pas être. De plus, à l'heure qu'il est l'ensemble des choses est assez grave pour que tout soit mesuré et poli. L'élection de Mgr Perraud risquerait fort de ressembler à une manifestation dont on abuserait, qu'on dénaturerait et qui serait peu efficace. La victoire ne serait pas proportionnée aux risques. Je me permets de vous parler de ceci librement, en vous priant de ne voir dans cette liberté qu'une marque de prix que j'attache à votre jugement et à vos bontés. Tout cela sera éclaire d'ici à peu. Quoiqu'il advienne, je serai heureux d'aller m'entretenir avec vous dès votre arrivée.

Recevez, Monsieur le comte, la nouvelle assurance de ma haute considération et de mon affectueux dévouement.

Ch. De Mazade.

Notes

1Haussonville, Joseph Othenin Bernard de Cléron, comte d’ (1810-1884), diplomate et homme politique. Il commença sa carrière de diplomate comme attaché à l’ambassade de France à Rome auprès de Chateaubriand en 1929. Après la révolution de 1830, il continua sa carrière diplomatique à Bruxelles, Turin et Naples. Il avait épousé en 1836 la sœur d’Albert de Broglie, Louise Albertine de Broglie. Ayant démissionné de ses fonctions de secrétaire d’ambassade en 1842, il se fit élire à la Chambre des Députés (collège de Provins). Ayant protesté contre le coup d’état du 2 décembre, il se réfugia quelque temps à Bruxelles. Collaborateur de la Revue des Deux Mondes, il fut l’un des chefs de file de l’Union libérale. Le 29 avril 1869, il fut élu à l’Académie française. Après la chute de l’Empire, il se tint à l’écart de la vie politique. Le 15 novembre 1878, il  fut néanmoins élu, en tant que républicain conservateur, sénateur inamovible.
2Doucet, Camille (1812-1895), directeur général de l’administration des théâtres, élu à l’Académie française le 7 avril 1865, secrétaire perpétuel en 1876.
3Mgr Perraud Adolphe Louis Albert (1828-1906), prélat. Prêtre de l'Oratoire de France en 1855, professeur d'histoire de l’Église à la Sorbonne en 1865, il fut nommé évêque d'Autun en 1874, puis cardinal en 1893.Normalien de la promotion About, Sarcey, Taine, Weiss, il fut l'auteur de  plusieurs ouvrages religieux, l'Histoire de l'Oratoire en France au XVIIIe et au XIXesiècle, de plusieurs études sur le cardinal de Richelieu, le Père Gratry, d'oraisons funèbres et de panégyriques. Il fut élu à l'Académie le 8 juin 1882 en remplacement d'Auguste Barbier qui avait exprimé, avant de mourir, le désir de l'avoir pour successeur, et reçu le 19 avril 1883 par Camille Rousset. Lorsque S. E. le cardinal Perraud arriva au conclave de 1903 qui suivit la mort du pape Léon XIII, le cardinal camerlingue le complimenta et le félicita d'appartenir à l'Académie française.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «26 novembre 1881», correspondance-falloux [En ligne], BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Troisième République, 1881,mis à jour le : 07/04/2013