CECI n'est pas EXECUTE 17 avril 1872

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17 avril 1872

Camille de Meaux à Alfred de Falloux

Ecotay1, 17 avril 1872

Cher monsieur,

Vous me donnez une bonne nouvelle en m'apprenant que nous vous verrons bientôt à Versailles. Je voudrais que votre voyage coïncide avec le retour du duc de Broglie parmi nous. Je ne connais sa résolution que par les journaux mais elle ne me paraît pas douteuse et il y a lieu de nous en féliciter; car il nous manquait souvent à l'Assemblée et il ne pouvait jouer plus longtemps un double rôle diplomatique et parlementaire2. Maintenant, pour bien jouer un grand rôle parlementaire, il importe avant tout qu'il n'éloigne pas de lui la droite, à quoi il est opposé même sans le vouloir, et  sans le savoir, et de quoi personne ne peut mieux que vous, avec tout l'ascendant qui vous appartient sur lui, le prémunir. Il lui convient en effet de devenir le pivot autour duquel se groupera la majorité. Et pas de majorité dans la Chambre sans la droite, pas plus que de parti conservateur dans le pays sans les légitimistes. L'humeur et les préjugés du duc de Broglie peuvent quelquefois lui rendre cette vérité là désagréable ; mais sa droiture de sens et de cœur l'empêchera de la méconnaître et franchement nous avons assez fait pour montrer que s'il y a une droite fanatique, il y a aussi une droite raisonnable et pour peu qu'on lui tende la main, à cette dernière, elle peut dominer et annuler l'autre, nous l'avons prouvé. Il me semble même qu'en fait de démarche parlementaire tendant à préparer l'avenir sans ébranler le présent, nous sommes allés aussi loin que possible ou à peu près et  certes nous n'avons pas à nous plaindre de ceux de nos amis du centre droit qui ont adhéré a notre programme. Ce serait maintenant aux princes de se montrer et d'indiquer de quelque manière ce qu'ils sont et ce qu'ils veulent et de ne pas rester indéfiniment au-dessous des citoyens qui ont une opinion et qui la disent. Si le duc de Broglie inaugurait son retour à l'Assemblée en obtenant du Comte de Paris ou de ses oncles une manifestation quelconque dans le sens de notre programme ou de l'adhésion du centre droit, il acquérerait certainement de l'autorité parmi nous et je le crois sincèrement, il rendrait service à tous. Depuis que je viens d'entrevoir la province, je suis persuadé que les fautes commises jusqu’à présent ne sont pas irréparables, que le besoin d'une solution conservatrice domine toute autre sentiment chez les honnêtes gens, que ce besoin peut les conduire à tout accepter même l'Empire, mais les rallierait sans effort à la monarchie légitime si la maison de Bourbon était unie, que le comte de Chambord ne serait point repoussé systématiquement, s'il se confiait au pays et à son drapeau et enfin  que ce qui est nécessaire demeure toujours ou peut être plus que jamais possible. En définitive le sort de la France dépend encore pleinement des princes, de l'aîné3 et des cadets4, et de nous, et, si j'en juge par quelques symptômes autour de moi, le pays en redevenant calme reprend un peu le goût de l'ordre si complètement effacé ou perverti l'été dernier.

Vous voyez, cher Monsieur, que j'obéis à votre recommandation et ne suis nullement disposé à me décourager, ce qui n'empêche pas que vous me ferez beaucoup de bien en venant bientôt à Versailles.

C. Meaux

Notes

1Ecotay-l'Olme, dans le département de la Loire, commune de résidence de Camille de Meaux.
2Alors qu'il venait d'être élu député de l'Eure dans l'Assemblée nationale du 8 février 1871, où il siégeait au centre droit, Albert de Broglie avait été nommé ambassadeur de France à Londres par Thiers, chef du gouvernement de la République. Il suivait néanmoins avec attention les discussions et les débats parlementaire. Mais, le Ier mai 1871, pour être au plus près de l'action, il préféra donner sa démission et rentrer en France devenant rapidement l'un des leaders les plus actifs du centre droit.
3Le comte de Chambord.
4Les princes d'Orléans.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «17 avril 1872», correspondance-falloux [En ligne], BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Troisième République, 1872,mis à jour le : 09/04/2013