1872 |
21 janvier 1872
Camille de Meaux à Alfred de Falloux
Versailles, 21 janvier 1872,
Cher Monsieur
Si je ne vous ai pas renvoyé plus tôt votre précieux écrit ce n'est pas ma faute. À travers la crise que vient de nous infliger M. Thiers1, je ne pouvais obtenir ce manuscrit des deux précieux amis à qui je l'avais confié, Cumont et Rességuier. Mais enfin le voilà et voilà aussi la première page du livre sur les moines dont vous me demandiez le titre2. Je n'ai pas trouvé d'autre titre que cette page écrite à la main sur l'exemplaire qui est resté sur le bureau de M. de Montalembert.
Je suis charmé de ce que vous m'écrivez au sujet de M. de Belcastel3. Mais je pense de plus en plus qu'il importe que vous saisissiez et le plus promptement possible une occasion de parler vous-même et non pas à des amis, de qui il ne dépend point de se substituer à vous pour répéter ces paroles, mais au public. La dernière incartade de M. Thiers fait sentir à tous la nécessité de se tenir prêt. Le duc de Broglie avec qui j'ai dîné hier chez M. Guizot et qui n'a comme vous savez aucune impatience à renverser M. Thiers se montrait disposé aux plus grandes avances et me demandait quel gage exigerait la droite pour porter à peu près tout entière le d[uc] d'A[umale]. L. Brun4 de l'autre côté déclare qu'il voterait pour ce prince si ceux visite du C[om]te de Paris à son cousin avait précédé ce vote et j'ai lieu de ne pas croire cette visite impossible dans de bonnes conditions. Demain, quelques amis des deux nuances (notre ancienne réunion du XIe Bureau) se réunissent ici même ; nous parlerons du sujet qui s'impose à nous et à tous et j'ajouterai un post scriptum à ma lettre. Je m'aperçois que votre manuscrit m'est revenu trop tard, malgré des réclamations réitérées pour partie aujourd'hui. Je le joindrai donc à cette lettre qui vous portera des impressions et des renseignements utiles à connaître pour votre travail, et si, en ne vous le renvoyant pas assez tôt j'ai [accusé] quelques retards, je m'en console un peu parce qu'il est manifeste que les derniers événements peuvent peser sur votre façon de dire. Je ne vous en parle pas parce que les récits ne vous auront assurément pas manqué. Tout cela est triste parce que cela ne relève point notre pays ; néanmoins il me semble que la droite et dans la droite Kerdrel s'est fait honneur, que le centre gauche s'est discrédité et enfin que nous voilà fixés à Versailles. Janicot5 soutient M. Thiers d'une façon insensée ; son article d'hier soir n'est qu'un écho affaibli de ses discours contre tous ceux qui se sont permis d'avoir un autre avis que le président de la République. Et comme je suis un de ceux-là pour des motifs purement économiques et à cause des intérêts que je représente, j'aurais en ce moment peu de crédit près de lui. J'ai insisté auprès d'Andral pour que la Gazette vous défende6, c'est-à-dire fasse son devoir. Andral m'a répondu qu'il y avait parti pris de ne pas parler avant que vous n'ayez parlé vous même. Après, j'ai la parole de Janicot, comme je vous l'ai [mot illisible]. Pourquoi, comment a-t-il ce parti pris ? Je renonce à beaucoup d'égards à comprendre la Gazette. Encore une prière ! Ne pourriez-vous me retourner copie de ce que je vous renvois. On m'a demandé ce manuscrit, on me le demandera encore. Je l'avais prescris à quelques amis très [mot illisible] que vous l'auriez réédité et il n'est pas très commode de leur répondre toujours que je ne l'ai point, à moins que vous ne m'autorisiez à dire que j'ai du vous le rendre parce que vous préparez la publication d'une lettre politique. A demain ; vous savez combien je vous appartiens.
C. M.