CECI n'est pas EXECUTE 19 octobre 1871

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19 octobre 1871

Alfred de Falloux à Jules de Bertou

Falloux à Bertou, 19 octobre 1871

Votre thèse réduite comme la réduisait votre lettre d'hier, à la question de savoir: 1° si l'on a eu tort de faire la Révolution de Juillet; 2° si l'inviolabilité royale fait partie d'une constitution monarchique; 3° si cette inviolabilité étant inscrite dans la constitution, on peut la violer quand on veut ; ces trois points ne peuvent laisser aucun doute entre nous deux. J'ai toujours tenu la révolution de Juillet pour un des faits les plus funestes de notre histoire et le générateur de tout ce que nous avons vu depuis. Non seulement les ordonnances ne pouvaient être légalement punies que sur le ministère mais, le roi Charles X ayant abdiqué, pouvaient-elles l'être moins encore sur son fils et son petit-fils. j'ai dit dans mon discours de réception: ce n'est pas seulement la royauté qui a été victime en 1830, c'est le régime représentatif, et je vous assure que je n'ai pas envie de m'en dédire. Je ne vous avais donc pas compris, parce que je ne crois pas que nous ayons eu jamais la moindre dissidence sur ce passé là. C'est sur l'avenir que je me croyais interrogé, avenir sur lequel chaque jour et chaque incident nouveau fixe davantage ma conviction. Oui, les principes sont le salut des sociétés, et il serait dérisoire de les proclamer, en se réservant le droit de les violer à la première occasion. Mais, dans l'intérêt de ces principes eux-mêmes, et pour ne pas faire, de la fidélité à les observer, un instrument de destruction, au lieu d'un instrument de salut, encore faut-il que ceux qui représentent ces principes et ceux qui les défendent ne se placent pas en dehors de toute raison et de toute logique. Si par exemple celui qui représente l'hérédité repousse ses héritiers légitimes et vise manifestement à se donner des héritiers de fantaisie, c'est lui qui sort du principe et ce sont ceux qui l'y ramènent bon gré mal gré qui sont et qui demeurent dans la voie monarchique. Si le principe se montre manifestement atteint de démence partielle ou totale, comme le roi George d'Angleterre, ou d'idiotisme politique, comme l'avant dernier empereur d'Autriche, c'est précisément pour sauver le principe monarchique qu'on fait passer la couronne par anticipation sur la tête du successeur légitime. Cela va de soi, quand le pays est calme et que les institutions fonctionnent régulièrement. Mais quand le pays est sens dessus dessous, quand il a subi Révolution sur Révolution, et qu'il est suspendu sur le bord des derniers abîmes, si le représentant des principes de salut se fait un jeu des calamités de son pays, les aggrave à tort et à travers, sans prendre souci ni conseil sur rien, quand il prend le contre pied de tous ses devoirs comme de tous ses intérêts, les hommes qui sont au même degré, les amis du principe et du pays sont-ils condamnés à sacrifier impitoyablement le pays et n'auront-ils jamais à aucun degré et sous aucune forme le droit de faire, pour sauver un peuple, ce qu'on a fait tant de fois pour sauver une couronne, i.e. d'adresser une respectueuse sommation au prince et de lui dire: c'est à prendre ou à laisser, ou écoutez l'avis des hommes les plus éclairés et les plus dévoués de votre nation ou abdiquez et ne privez pas votre patrie du bénéfice d'un principe qui a été créé non pour vous mais pour elle. Voilà, cher ami où un problème peut s'élever et s'est élevé entre nous à Caradeuc, et ce que  je croyais lire dans votre hérésie sous les mots d'absolu et de sacré. Je me suis trompé sur votre lettre mais comme je ne crois pas me tromper sur votre sentiment, je vous réponds par dessus le marché et je vous répète de nouveau qu'on ne peut pas porter au principe un coup plus mortel que de les résumer dans l'absurde que quand l'absurde a pris par l'entêtement et par la durée un caractère manifeste et incurable, l'institution monarchique aurait disparu de ce monde depuis longtemps si elle n'avait aucune ressource ni aucun remède contre un tel cas. Non seulement le Mis de Juigné1 a selon moi le droit de contribuer à ce remède mais il en a le devoir précisément parce qu'il est légitimiste et que l'honneur des légitimistes autant que leur conscience leur impose de témoigner très hautement qu'ils n'ont jamais considérés leurs principes comme un joujou de complaisance ou d'ambition dont le prince disposait d'une façon absolu - Voilà que je n'ai plus de place pour rien. Montrez du moins ma lettre à Mme de Castellane2, et dites-moi si elle vous prêche dans le même sens que moi. Dites-moi aussi l'adresse de Mme de S[ain]te-Aulaire3. Mille tendresses tricolores comme dit Thiers à M. de Maillé4.

Notes

1Juigné, Ernest Le Clerc de, (1825-1886), homme politique. Propriétaire dans la Sarthe, il avait été élu à l'Assemblée nationale par ce département. Légitimiste ardent et fervent catholique, il était membre de la réunion Colbert et de celle des Réservoirs. Candidat dans la circonscription de La Flèche (Sarthe), en 1876, il ne parviendra pas à se faire réélire.
2Jules de Bertou séjournait alors à Rochecotte, propriété de Pauline de Castellane.
3Sans doute Saint-Aulaire, Alphonsine Marie Azélaïs née Creton d'Estournel de Surville (1804-1893).
4Maillé, Armand, Urbain, Louis de La Jumellière de (1816-1903), homme politique. Élu dés 1871 député du Maine-et-Loire où il détenait d'importantes propriétés, il conserva son siège jusqu'en 1896, date à laquelle il entrera au Sénat. Catholique et légitimiste, inscrit aux réunions Colbert et Réservoirs, il vota pour le septennat et contre l'amendement Wallon.  

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «19 octobre 1871», correspondance-falloux [En ligne], BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Troisième République, 1871,mis à jour le : 13/10/2016