CECI n'est pas EXECUTE 8 mai 1871

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8 mai 1871

Jules de Bertou à Alfred de Falloux

Lundi 8 mai 1871

Cher ami,

J'ai profité de ce que le vote n'est pas encore obligatoire pour m'abstenir entre Frédéric, Charles et Napoléon me fondant sur ce qu'il y a des choses qu'il faut subir, mais en faveur desquelles il serait trop douloureux d'exprimer une préférence. Le Moniteur parisien restant debout au milieu de tant de confrères renversés par la Commune vous inspire-t-il beaucoup de confiance? En le lisant, et en voyant de quelle indépendance de langage il jouit, je ne saurais m'empêcher de penser qu'il y a là dessous un mystère d'iniquité? Puisque vous avez la bonté de me répondre au sujet du vote obligatoire vous me permettez bien d'ajouter un mot à ma question présentée sous la forme la plus sommaire. D'abord, cher ami, tout en vous accordant qu'il y a généralement trois millions d'abstentions à chaque élection, je crois que vous reconnaîtrez qu'une pénalité quelconque en diminuerait sensiblement le nombre. Je voudrais que l'obligation de voter entraînât la facilité de voter à la commune avec subdivision dans les grandes communes. On pourrait demander et obtenir sa radiation de la liste électorale, mais quand on aurait sollicité ou accepte son inscription sur les listes on serait tenu de voter sauf les cas d'absence, de maladie ou autre empêchement régulièrement constaté. Les bureaux électoraux statueraient sur les abstentions excusées ou non quand elles prononceraient l'amende avec affiche et l'amende en argent ou en journées de prestations, le condamné aurait recours devant le juge de paix. Pour les absents une constatation suffirait et on ne serait pas tenu de faire connaître le motif de l'absence: les paresseux aimeraient autant voter que d'entreprendre un voyage pour se créer un cas d'exemption. Vous allez peut être croire que j'invente cela pour me tirer d'affaire personnellement ; mais j'ai voté à St Patrice1 d'abord pour les élections de février parce que je m'étais fait inscrire en octobre et qu'il suffisait alors de demander cette inscription et depuis aux élections municipales parce que les braves gens m'ont dit que si je m'abstenais après la part qu'on m'avait vu prendre à tout ce qui s'est passé cet hiver on croirait que je désapprouvais la liste et que bien des gens prendraient motif de cela pour ne pas voter... que d'ailleurs mes précédents séjours ici me donnaient un domicile effectif plus que suffisant. Je me suis laisser persuader et j'ai voté avec une parfaite sérénité de conscience. Quelle affaire que celle de Bordeaux; si ce gouvernement n'agit pas avec décision et énergie nous allons tomber encore plus bas que nous n'étions! Il paraît certain que la main de Gambetta est là dedans mais, avant cette nouvelle, et avant que le scrutin ne s'ouvrit, je ne doutais pas que les démocrates socialistes ne prissent prétexte de ces élections pour intervenir entre Versailles et Paris. Le gouvernement avait du se croire certain d'en finir avant le 4 mai sans cela il aurait ajourné le scrutin et il a été bien mal avisé de ne pas le faire et bien plus mal avisé encore de parler comme l'a fait M. Thiers à la veille des élections. C'est lui qui a fait que tant de conservateurs se sont abstenus ne voulant ni se séparer de lui ni se démentir en faisant des choix républicains. J'espère que vous laisserez imprimer votre lettre et que si vous vous y refusiez vous nous en enverriez une copie que le journal de St Patrice n'imprimera pas, je vous le promets. La pauvre Mad[ame] de Castellane a une fluxion très douloureuse, moi un redoublement de lumbago et un rhume de première qualité ; les petits enfants et tous nous vous embrassons de tout cœur.

Jules

Notes

1Jules de Bertou séjournait régulièrement au château de Rochecotte, demeure de Madame de Castellane, située sur la commune de Saint-Patrice, en Indre-et-Loire.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «8 mai 1871», correspondance-falloux [En ligne], BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Troisième République, 1871,mis à jour le : 25/02/2013