CECI n'est pas EXECUTE 11 juin 1881

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11 juin 1881

Gaston d'Audiffret-Pasquier à Alfred de Falloux

Paris, 11 juin 1881

Cher et honoré confrère,

Je voudrais croire que votre profonde douleur1 peut être un moment soulagé sur la sympathie de ceux qui vous aiment, et je vous demanderai de compter la mienne au nombre des plus sincères et des plus vives. Vous avez perdu la chère compagne de vos journées celle qui vous adoucissait les rigueurs de la vie publique, celle à laquelle vous donniez le meilleur de votre temps, de votre cœur, ces déchirements là rien ne les console. Vous allez poursuivre votre route seul, n'ayant pour soutien que les fermes espérances du chrétien. Hâtant de vos vœux l'instant du revoir là haut, n'oubliez pas cependant tous ceux qui partagent votre peine sans pouvoir la soulager. Des jours nouveaux nous arrivent qui demanderont le concours de tous ; les ténèbres s'épaississent, et j'avoue que je ne sais plus ce qu'il faut espérer et désirer. Le vote du sénat est bon2 c. à. d. qu'étant donné qu'on nous posait la question nous ne pouvions que répondre autrement. Mais après ? Si Grévy voulait lutter, c'est à la chambre des députés qu'il fallait le faire et pas au sénat. Nous voilà enrégimentés sous la bannière, ce n'est bon, dans le pays, ni pour lui ni pour nous. Il y avait deux précédents, l'un ne vint bête et ne veux lâche que l'autre. Nous n'avons pas pris le meilleur et le plus fort. J'ai horreur des gens qui commencent ce qu'ils sont incapables de finir. Nous serons lâchés. Que va faire l'Élysée [mot illisible] ? Fera-il un ministère en dehors de Gambetta ? Gambetta vainqueur, martyr du pays, aurait-il pu se contenter d'être président du conseil ? Quand le pays, consulté, aurait envoyé une chambre gambettiste que deviendrait Grévy? le sénat? La raison, le droit etc. Tout cela est pour moi obscur et périlleux. Nous évitons au moins le très très cuisant embarras des listes électorales et la direction des comités royalistes ; c'est quelque chose par le temps qui court que de pouvoir reculer un embarras de quelques semaines. Mais tout se prépare pour d'effroyables périls. Que Dieu vous garde votre bon et droit jugement, votre force d'âme et votre conseil supérieur.

Recevez, mon cher et honoré confrère la plus cordiale assurance de mes sentiments les plus affectueux et les plus dévoués.

D'Audiffret-Pasquier

Notes

1Falloux venait de perdre sa fille, Loyde.
2Le 9 juin, le Sénat avait rejeté, par 148 voix contre 114, le texte modifiant, à l'initiative de la Chambre des députés, la loi électorale proposant de supprimer le scrutin uninominal et de rétablir le scrutin de liste.  

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «11 juin 1881», correspondance-falloux [En ligne], BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Troisième République, 1881,mis à jour le : 07/04/2013