CECI n'est pas EXECUTE 16 mai 1883

1883 |

16 mai 1883

Gaston d'Audiffret-Pasquier à Alfred de Falloux

16 mai 1883

Cher et honoré confrère,

J'ai été très malheureux du motif qui vous avait si brusquement forcé à quitter Paris. Reposez vous donc c'est l'important. Puis quand vous serez bien remis faites moi signe, j'irai vous chercher à Angers ou Bourg d'Iré, là où il vous plaira de me recevoir et dans quelques heures de bonne causerie campagnarde nous ferons plus de besogne que dans huit jours de la vie agitée de Paris. Je crois nécessaire de vous donner quelques renseignements essentiels. J'apporterai avec moi les [mot illisible] nécessaires et je me fais une fête de cette petite course qui me donnera occasion d'aller vous dire moi-même le prix que j'attache à votre confiance et votre amitié. Je crois que nous n'avons pas à nous presser ; les incidents se succèdent et les conséquences de la dernière lettre se pressent et jettent dans le cœur des croyants des lueurs inattendus. Quoi, ce n'est pas le centre droit, ce n'est pas la droite modérée qui étaient suspectée ; c'est Carayon1, Cazenove2, Lucien-Brun3 et l'honnête Chesnelong4 ! C'est eux qu'on désignait en s'adressant par Norbert Billiart5 à Boucher !  Tout cela est imprévu et j'avoue que j'avais toujours attribué la fameuse note de la Liberté6 à un hasard à un ou des orateurs mais non pas à une impardonnable duplicité. Tout cela fait en province un grand effet. Depuis cinq jours que je suis ici les points d'interrogation se succèdent. Il y a grand profit à ce que ces révélations arrivent en dehors de nous. Nous les compléterons et je n'ai plus aucune raison pour ne pas dire ce que je sais et publier les pièces que j'ai entre les mains. Vous en jugerez puisque je vous les apporterai toutes. Quel écroulement. Tous ces chevaliers du plus loyal des princes, troubadours et écuyers qui répétaient avec une si fidèle et si béate méchanceté les racontars et les calomnies nés dans les arrières cabinets du Faubourg Saint Germain. Que trouveront-ils aujourd'hui pour répondre aux si cruelles questions qui se pressent sur la bouche des honnêtes gens ! Qu'est-ce que la maison de Bourbon a donc fait à Dieu pour qu'il la fasse finir ainsi ? Il y a une chose à plaindre et à ménager, c'est l'armée loyale qui a cru, qui a tout abandonné et s'est retiré silencieuse et navrée dans la province sans s'associer aux infâmes paons débitant contre vous. Belles et bonnes troupes de gens d'un autre chef.

Je suis très préoccupé avec quelques-uns de nos amis des efforts que l'on fait pour faire triompher la candidature d'About7. Nous pouvons l'éviter si nous chérissons bien ses concurrents. Ne vous fatiguez pas à m'écrire avant d'être tout à fait rétabli et envoyez-moi un télégramme dans le courant de cet été quand vous voudrez que je vous arrive. Recevez, mon bon cher et honoré confrère, la cordiale expression de mon plus affectueux dévouement.

Audiffret-Pasquier

Notes

1Carayon-Latour, Philippe Marie Joseph (1824-1886), homme politique. Il fut élu député légitimiste de la Gironde à l'Assemblée nationale de 1871 et réélu jusqu'en 1878 date à laquelle il fut nommé membre du sénat où il siégea à l'extrême droite.
2Cazenove de Pradines Édouard Pierre Michel (1838-1896), homme politique. Fidèle au comte de Chambord dont il avait été le secrétaire, il fut élu du Lot-et-Garonne à l'Assemblée nationale de 1871. Siégeant à l'extrême-droite, catholique fervent, il avait déposé le 13 mai 1871, une proposition ayant pour objet « de demander des prières publiques dans toute la France pour supplier Dieu d'apaiser nos discordes civiles et de mettre un terme aux maux qui nous affligent ». Membre de la réunion dite des « Réservoirs » , il vota pour la paix, pour les pétitions des évêques, pour l'abrogation des lois d'exil concernant les Bourbons, pour la démission de Thiers, pour le Septennat, contre le ministère de Broglie le 16 mai 1874 et contre les lois constitutionnelles. Il signa (15 juin 1874) la proposition de rétablissement de la monarchie  et ainsi que l'adresse de félicitations au pape à propos du Syllabus. Battu en 1876, il ne retrouvera son siège à l'Assemblée qu'en 1884 et le conservera jusqu'en 1896.
3Brun, Henri Louis Lucien (1822-1898) dit Lucien-Brun, avocat et homme politique. Élu par le département de l'Ain à l'Assemblée nationale du 8 février 1871, il y devint bientôt un des chefs du parti monarchiste et catholique. Comme la plupart des légitimistes, il contribua au renversement du ministère de Broglie et soutint au nom de l'extrême droite une interpellation relative à la suspension du journal l'Union pour publication du manifeste du comte de Chambord, et signa, le 15 juin 1874, la proposition en faveur du rétablissement de la monarchie. Il fut un des agents les plus actifs des tentatives de restauration monarchique qui marquèrent l'année 1873. Au mois d'octobre, il se rendit à Salzbourg, avec M. Chesnelong, auprès du comte de Chambord, pour lui offrir le trône de France et lui demander son adhésion au programme politique élaboré par la droite. Il fit partie de la seconde commission des Trente, et s'y prononça contre le suffrage universel. Élu sénateur inamovible le 16 novembre 1877, il siégea à l'extrême droite et s'associa à tous ses votes. Ayant à plusieurs reprises interpellé le gouvernement républicain sur sa politique religieuse, il se prononça avec force contre l'article 7.
4Chesnelong est alors considéré comme faisant partie de la droite modérée.
5Norbert Billiart, journaliste. Directeur du Moniteur universel sous l'Empire, devenu légitimiste convaincu, il venait de publier La Royauté sans le roi, réponse aux habiles (Dentu, 44 p.), une lettre très critique à l'égard des partisans de la « fusion » , dénommé les « habiles ».
6Il s'agit de la note que fit paraître en décembre 1873 Détroyat, alors directeur de La Liberté, annonçant à l'avance l'échec de la restauration.
7Directeur du XIXe Siècle, très anticlérical, E. About s'était porté candidat à l'Académie française. Battu à deux reprises, la première fois contre A. de Broglie, puis contre le comte de Pongerville, il sera élu le 24 janvier 1884.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «16 mai 1883», correspondance-falloux [En ligne], BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Troisième République, 1883,mis à jour le : 08/04/2013