CECI n'est pas EXECUTE 6 juin 1856

Année 1856 |

6 juin 1856

Francisque de Corcelle à Alfred de Falloux

Essay1, Orne, 6 juin 1856

Mon cher ami,

Excusez-moi, je n'ai jamais été si affairé et si empêché de toutes façons. Contre mon ordinaire, ma santé a aussi éprouvé quelques atteintes dans les premiers jours de mon installation; mais il m'a surtout fallu donner mon temps à la recherche d'un fermier et à des chicanes de moulin. Impossible d'ajourner ces détestables soins. Hier, nous avons eu aussi notre grande inondation. Des torrents de pluie, comme on n'en avait pas vu depuis 60 ans, ont horriblement gonflé les rivières et vasé une grande quantité de près. La Sarthe qui vous arrive à Angers, a du vous apporter des masses d'eau dont nous avons eu fort à nous plaindre. Je souhaite que vous n'appreniez pas d'aussi fâcheuses nouvelles de votre pays. Nos pommiers rapporteront bien peu ; mais les blés n'ont pas encore de mal. Tout cela n'est rien en comparaison des calamités qui sont venues désoler les riverains du Rhône, de la Saône, de l'Isère, etc... Moulins m'écrivait, il y a 3 semaines, de son Auvergne, qu'on ne pouvait plus compter sur une belle récolte. Elle sera au moins très inégale en France. Ainsi, voilà le paradis impérial encore ajourné. Quels étranges avertissements sur tant d'orgueil, dans la bassesse, et sur toutes les cupidités qui prétendent régir le monde. Votre second chapitre est, à mon avis, des plus remarquables. Je n'ai pu le lire que depuis trois jours dans l'exemplaire de ma sœur. On ne m'a pas envoyé ici ni à Paris le Correspondant. Vous n'avez jamais écrit avec plus de profondeur, et d'ingénieur fermeté. Le fonds est singulièrement vrai, la thèse des inconvénients de la solitude et de l'état de la coterie, admirablement exposée,  l'idée de la comparaison avec le ton morose du jansénisme, moins la politesse, et avec les  complaisances du gallicanisme envers l'état, moins les garanties de l'ancienne église de France, excellente. J'en suis ravi et nous tous ici, également. Cependant, comme vous m'avez amicalement habitué à la plus entière franchise, j'ajoute qu'avec deux ou trois adoucissements de plus envers celui qui vous a si misérablement injurié, il me semble que le travail eut été plus parfait encore. La réflexion sur le désintéressement véritable est de trop. Je lui reproche son aristocratie.Il faut vous attendre à une continuelle guerre.Vous avez déclaré que vous n'y répondriez plus. Vous voilà donc lié ; mais êtes vous bien sûr que certains incidents, certaines rectifications sur des faits faussement allégués, ne vous obligeront pas de reprendre l'épée ? Faites mes compliments à M. de Bertou sur son article oriental qui s'annonce parfaitement. M. Lorain2, selon moi, voudrait beaucoup trop de science à l'adresse des écoles primaires. Ce n'est pas que je la redoute si elle est accompagnée de simplicité, de tempérament, dans les mœurs générales d'un suffisant progrès religieux.  Malheureusement nous n'en sommes pas là. Aussi, M. Lorain me paraît il d'un lyrisme fort universitaire. J'arrive à votre appel italique. J'ai déjà écrit à Montal[embert] qu'avec la meilleure volonté du monde, il m'était impossible d'intervenir dans une telle affaire, avec des banalités généreuses. Or, je ne suis libre que depuis ce matin. Il faudrait être prêt pour le 15 et nous voilà au 7. Ce n'est pas en une semaine que je puis m'engager à vous envoyer quelque chose qui exprime assez ma pensée. Je ne le promets que pour le n° de juillet. Sans désemparer, je vais m'y employer. L'idée de bâcler une démonstration m'est insupportable. Songez que je ne puis comme vous et comme notre ami Montal[embert], prendre une prompte revanche. Vous me demandez précisément de m'expliquer sur le sujet où comme témoin, je suis tenu plus qu'un autre, à ne rien dire d'aventuré ni de léger. Cependant, je considère, comme très important qu'il y ait trois ou quatre pages de l'un de vous deux dans le n° de juin. Vis-à-vis du St Père ce serait une attitude tout à fait convenable. Votre adresse des Neothermes3 m'inquiète. Êtes vous souffrant ou bien les chères santés de votre intérieur ont-elles exigé cette précaution ? Rassurez moi. Le silence gardé sur ce qui nous a ému m'étonne. Il faut qu'on espère quelque folie d'une [mot illisible] , une meilleure occasion de parler r ou bien que l'on compte assez sur l'indifférence générale  pour trouver plus d'avantage à ne rien dire. Je ne m'attends à rien de considérable en italien avant un an ou deux. L’Autriche fait comme ces pères de famille qui vont en compagnie légère avec leurs fils, pour éviter les grosses fredaines.

Adieu, cher ami, ne restez pas trop longtemps pour m’écrire quelques lignes. C’est bien sincèrement et résolument que je vous promets de faire de mon mieux au sujet de Rome. A vous on ne peut plus tendrement.

Fr. C.

Notes

1Commune de l'Orne, où se situe le château de Beaufossé, propriété de F. de Corcelle.
2Collaborateur du Correspondant, Pierre Lorain venait d'y publier « De l'éducation populaire en Angleterre » (25 mai 1856).  
3Établissement parisien d'hydrothérapie.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «6 juin 1856», correspondance-falloux [En ligne], Année 1852-1870, Second Empire, Année 1856, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 12/11/2013