CECI n'est pas EXECUTE 25 juin 1856

Année 1856 |

25 juin 1856

Alfred de Falloux à Francisque de Corcelle

Copie de ma lettre envoyée à d'Assailly

25 juin 1856

Monsieur,

Là lettre lue par moi à Mgr de Poitiers, et je le regrette infiniment aujourd'hui, lui a fait prononcer votre nom. Je lui ai affirmé aussitôt, dans des termes qui ne devaient lui laisser et qui n'avaient paru ne lui laisser aucun doute, que cette lettre émanait de Poitiers même, que vous n'y étiez absolument pour rien, et ne m'aviez jamais fait l'honneur de m'écrire. S'il vous convenait que je répétasse cette assurance et que j'y joignisse même d'autres détails de nature à dissiper la pensée de Mgr de P[oitiers], je me mets entièrement à vos ordres pour le faire. C'est un strict devoir pour moi et en même temps une consolation dont j'ai besoin, car je suis profondément affligé, soyez en sûr, Monsieur, d'un incident où je désire du moins assumer sur moi seul la responsabilité et le côté pénible.

Votre très dévoué.

A. de F.

Adressée sans nom de château (que j'ignore) près Niort, Deux-Sèvres.

Note

L'évêque de Poitiers, qui est en tournée, est venu me voir, mon cher Francis. Nous n'avions encore conversé que par lettres ; sa visite n'était donc pas sans intérêt. C'est un prélat de manières et d'esprit faciles, aussi à l'aise dans dans le salon que dans sa chaire et qui, de son commerce avec l'ancien évêque de Chartres1, a rapporté l'habitude de parler sur tout avec une absolue liberté. Sa pensée, assez dédaigneuse du présent et des combinaisons politiques quelles qu'elles soient, paraît préoccupée surtout des questions doctrinales et polémiques. Vous savez peut être que la Commission de l'Index, soit d'elle même, soit à l'instigation de l'abbé de Ségur2 alors à Rome, s'est saisie des dernières publications de M. Cousin3. Pour quiconque n'a pas été ou n'est pas candidat à l'Académie mais sait lire, le résultat est facile à prévoir. Ne voilà-t-il pas Mgr l'Archevêque de Paris4 qui se met à écrire au Pape pour intercéder en faveur de M. Cousin. Le Pape vient de répondre que l'Archevêque n'a qu'à obtenir de M. Cousin rétractation de ses propositions hétérodoxes et qu'on sera infiniment heureux de reconnaître son orthodoxie. L'évêque de Poitiers guette malignement l'issue du procès. Il ne serait pas impossible non plus qu'au concile provincial tenu bientôt à Angoulême, M. Thiers attrapât quelque coup de crosse au sujet de son 13e volume5. Bien que méritée, je regretterais cette fustigation. M. Thiers est-il donc docteur en droit canon pour que l’Église prenne la peine de réfuter ses erreurs ex cathedra ? Il semble moins permis à une assemblée épiscopale qu'à toute autre de tirer sa poudre aux moineaux.

Le gouvernement français aurait désiré que le S[ain]t Siège envoyât à Paris un nonce qui, à l'instar des délégués prussiens, assistât aux dernières conférences du Congrès et se trouvât par suite impliqué dans les délibérations sur l'Italie. La finesse italienne n'avait garde de se laisser prendre au siège.

(Cette note finit là mais la suite paraît avoir été enlevée à dessein.)

Note

On assure que Mgr de Poitiers fait les plus grands efforts à Rome pour faire mettre à l'Index le livre : Du vrai, du beau, du bien.

Ce n'est pas ici une question de doctrine, mais d'opportunité.

Qu'il y ait dans ce livre, ce qui suffit pour être mis à l'index, on n'en serait pas étonné. Des livres meilleurs y ont été mis ; des milliers de livres incomparablement moins bons n'y ont pas été mis.

C'est donc une question d'opportunité plutôt que de doctrine.

Or, est il opportun de repousser ceux qui reviennent ?

De flétrir ceux qui s'améliorent visiblement ?

Est-il opportun de choisir précisément le livre, où le retour et l'amélioration se déclarent, pour frapper un écrivain?

N'est ce pas arrêter tout court ceux qui commencent à revenir?

La justice, comme la prudence, ne commandent-elles pas d'attendre et de voir s'ils ne feront pas encore un progrès meilleur ?

Il est du moins évident que les flétrir, quand ils commencent à moins mal faire, n'est pas les encourager à mieux faire encore.

Ne paraîtra-t-il pas d'ailleurs que la campagne commencée contre l'Institut, le 8 novembre 1854, et continuée par la lettre synodale de 1855, cherche à s'achever par l'Index ?

Mais est-il opportun et d'une bonne politique de s'associer à cette campagne, et même d'en assumer toute la responsabilité ? Telle est la question.

  

Notes

1Mgr Clausel de Montals, Claude-Hyppolite (1796-1856), évêque de Chartres depuis 1824, il avait résigné ses fonctions en janvier 1853.
2Ségur, Louis Gaston Adrien de (1820-1881), abbé. Auditeur de Rote pour la France, il séjourna à Rome de 1852 à 1856. Revenu à Paris pour cause de cécité, il exercera une grande influence comme auteur spirituel ultramontain.
3La Rote romaine dont l'abbé de Ségur, est, aux côtés de Frédéric de Falloux, un des 12 membres, est un tribunal d'appel.
4Mgr Sibour.
5Il s'agit du Tome 13 de son Histoire du Consulat et de l'Empire. Thiers y abordait la question de la réunion de Rome au territoire de l'Empire, épisode qui n'était pas sans rappeler la situation du moment.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «25 juin 1856», correspondance-falloux [En ligne], Année 1852-1870, Second Empire, Année 1856, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 12/11/2013