CECI n'est pas EXECUTE 25 juin 1856

Année 1856 |

25 juin 1856

Alfred de Falloux à Francisque de Corcelle

25 juin 1856

Cher ami,

J'ai en hâte de vous écrire ce matin sur le plus pressé ; mais je n'ai pas moins à cœur de revenir sur ce qui touche Le Correspondant. Quel qu'ait été mon tort et son résultat, Le Correspondant y est absolument étranger et ne doit pas en souffrir. Permettez-moi d'ajouter que la situation est moins que jamais ce que je vous donne lieu de redouter. Nous venons d'avoir un dernier conseil avant-hier, avant le départ de Montalembert, Albert de Broglie y assistait : on y a renouvelé vis-à-vis les uns des autres l'engagement le plus catégorique de maintenir close toute polémique avec L'Univers, toute discussion avec d'autres catholiques et  ne les laisser jusqu'à nouvel ordre se réintroduire dans le journal par aucune sorte de voie indirecte. Le n° d'aujourd'hui vous porte, avec la protestation de Montalembert contre Lord Palmerston1, la réfutation de M. Thiers par M. Foisset2. Le n° prochain vous escortera du P. Lacordaire3 et de l'article d'Albert de Broglie4 contre Jules Simon, dans lequel il raturera une phrase de son article de décembre qu'il sait avoir déplu à Rome. Les Oratoriens reparaissent aussi aujourd'hui parmi nous, avec la pleine autorisation de l'Archevêché qui s'était lui-même un peu alarmé cet hiver. Voilà bien des garanties que notre pensée est désormais, cher ami, tout à fait en harmonie avec la vôtre. Permettez-moi d'en ajouter encore une qui aura plus de prix encore pour vous que toutes les autres. Bien loin d'affliger ou d'inquiéter Rome, Le Correspondant reçoit, depuis quelques semaines tous les encouragements qu'on lui avait refusés d'abord. Mon frère5 que son propre intérêt éclairerait sur les déplaisirs dont je pourrais être l'auteur, se déclare officiellement chargé de compliments sans réserve. Le légat a reçu individuellement M. de Montalembert, M. de Broglie et moi. Il nous a, je crois vous l'avoir déjà mandé, prodigué les démonstrations personnellement affectueuses et ne nous a pas adressé l'ombre d'un conseil pu d'une inquiétude quelconque, au sujet du Correspondant. Le Nonce6 a été beaucoup plus loin. J'ai eu deux entretiens fort graves avec lui au sujet de M. Cousin. Dans le dernier, il a paru me parler à cœur ouvert sur le Correspondant. Il m'a déclaré textuellement que sa seule crainte était que nous nous fatigassions d'écrire dans le Correspondant et le livrassions à des hommes secondaires.

Vous voyez donc, cher ami, que la position a bien grandi depuis votre départ. Nous sommes tous pénétrés de sa gravité et fermement résolus à m'encourir sérieusement aucun reproche de la nature de ceux que vous prévoyez. N'en continuez pas moins à nous prêter, et à moi bien particulièrement, le secours de votre correction et de vos inquiétudes ; mais ne laissez pas vous entraîner vous même jusqu'à un découragement que rien  ne justifie et ne privez pas pour un grief qui pèse sur moi seul, notre œuvre commune et la défense du S[ain]t Siège, de votre intervention si opportune, si manifestement indiquée et que rien ne pourrait remplacer. Le sujet que vous traitez d'ailleurs ne peut vous créer aucune ombre de solidarité avec nos polémiques intérieures ; et, quoique je me sente bien mal placé pour vous exhorter en ce moment, laissez-moi ajouter en toute sincérité, cher ami, qu'en donnant vous même votre ton et votre mesure dans le Correspondant vous nous créerez bien plus étroitement encore le devoir et le désir de vous y conformer à l'avenir.

Je quitte les Néothermes7 lundi prochain ; si vous pouvez m'adresser d'ici là un mot de votre indulgente amitié, vous me soulagerez bien le cœur. Si, au contraire, vous voulez m'imposer un peu de pénitence, prolongez la du moins, le moins possible, et adressez, à partir du 30 juin, toute lettre au Bourg d'Iré.

Je vous embrasse de tout cœur.

A. de Falloux.

Notes

1Ch. de Montalembert, « Palmerston et Pie IX », Le Correspondant, 25 juin 1856.
2Dans ce numéro du 25 juin 1856, Th. Foisset avait fait un compte rendu très critique du livre d'A. Thiers, Histoire du Consulat et de l'Empire.
3Il s'agit de la dernière conférence du P. Lacordaire intitulée « De la morale » et qui sera publiée dans Le Correspondant du 25 juillet 1856.
4Il s'agit sans doute du compte rendu que fit A. de Broglie du livre de Jules Simon, De la religion naturelle. Celui-ci sera publié dans le Correspondant du 25 août 1856.
5Frédéric de Falloux, son frère était alors auditeur de la Rote romaine.
6Mgr Sacconi, nonce à Paris depuis le 24 octobre 1853.
7Établissement hygiénique de Paris.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «25 juin 1856», correspondance-falloux [En ligne], Année 1852-1870, Second Empire, Année 1856, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 12/11/2013