CECI n'est pas EXECUTE 25 décembre 1874

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25 décembre 1874

Alfred de Falloux à Jules de Bertou

Bourg d'Iré, 25 décembre 1874

Cher ami,  

Madame de Caradeuc1 a voulu absolument prendre ma place avant-hier, près de Madame de Castellane, et j'attends maintenant la semaine prochaine pour me dédommager. Mais je ne l'attends pas pour me réjouir des progrès de M. Coco à qui je vous prie de faire agréer mes respectueuses félicitations.
On ma envoyé le dernier numéro de la Revue des deux mondes, contenant un très bel article de M. St René Taillandier sur mon petit volume Cochin2. Il est précédé d'un article de M. Bardoux3, député du centre-gauche, sur M. de Monlosier4. Il vaudrait la peine de demander ce numéro à Antoine, s'il l'a suivi à Paris. C'est le miroir le plus curieux et le plus frappant  de tout ce qui se passe aujourd'hui, comme si aucune leçon, aucun enseignement, ne nous avait été donné, dans ces quatre-vingt ans d'intervalle. Ne croyez pas, cher ami, que je vous laisserai, sans protestation, profaner le noble mot indépendance comme vous le faites, en l'appliquant à la Gazette, qui rirait bien si elle lisait votre lettre d'hier. La servilité à l'abonnement est une des moins justifiables que je connaisse, et elle seule peut expliquer comment des hommes d'esprit se réfugient dans les nuages, déclinent tout avis, tout conseil pratique, parlent lundi pour le Maréchal, le mardi contre, tendent, le mercredi, la main à l'extrême droite, le jeudi à la droite modérée, démentent tous les matins, dans leur conversation privée, ce qu'ils écrivent tous les soirs dans leur journal, et ont enfin amené leur public, Rochecotte5 compris, à ne pas savoir si la Gazette est, et si l'on doit être pour ou contre les deux chambres, pour ou contre la monarchie immédiate du drapeau blanc, ou l'organisation monarchique du pouvoir dans des mains honnêtes, et le tout à la veille de la crise intérieure et extérieure la plus formidable. Si c'est cela qui s'appelle de l'indépendance, j'aimerai mieux mourir de honte que d'être indépendant de cette façon là.

Mille tendresses indépendantes de votre opinion sur la Gazette.  

Alfred

Notes

1Emilie-Marie-Charlotte de Caradeuc, née de Martel (1801-1882), mère de Marie de Falloux.
2Falloux s'apprêtait à publier une biographie de son ami, (Augustin Cochin, Paris, Didier et Cie, 1875, 412 p.). Saint-René de Taillandier en avait fait un compte rendu dans un article intitulé L'esprit chrétien et la politique de concorde à propos d'une publication récente (Revue des deux mondes, 15 décembre 1874, pp. 867-891).
3Bardoux Agénor Benjamin Joseph (1829-1897), avocat et homme politique. Élu du Puy de Dôme de 1871 à 1881, il siégea au centre gauche. Il vota contre le ministère de Broglie et pour l’amendement. Wallon. Entré dans le ministère du 11 mars 1875 (Buffet) comme sous-secrétaire d’État à la Justice, il préféra démissionner après le vote du scrutin d’arrondissement (11 novembre) et fut élu président du centre gauche de l’assemblée.
4« Le comte de Montlosier et les théories constitutionnelles à la Constituante, d'après des papiers inédits »(Revue des deux mondes, 15 décembre 1874, pp. 850-866).
5Demeure de Pauline de Castellane avec laquelle Falloux, plus libéral, avait certains désaccords.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «25 décembre 1874», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, 1874, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 17/05/2013