1874 |
13 mai 1874
Alfred de Falloux à Pauline de Castellane
Chère madame,
J'espère que vous voilà rendu à bon port, et en pleine jouissance d'un doux et rare bonheur. Unissez-moi de nouveau, je vous en prie, à l'expression de beaucoup des sentiments que vous allez éprouver1. J'étais spécialement chargé par le duc de Fitz-James de vous faire part du mariage de sa fille2, afin que vous puissiez l'annoncer aussi en son nom au palais Radziwill. L'impossibilité d'aller vous dire adieu m'a empêché de m'acquitter de ma commission, et vous êtes bien sûre que ce n'a pas été ma faute ; je dois ajouter, pour mon propre compte, que plus j'ai revu mon filleul, plus j'ai trouvé, derrière sa jolie figure, des qualités qui me paraissent vraiment distingués. Les Fitz-James me semblent aussi de plus en plus charmés.
Je ne vous donne pas de nouvelles de mes trois femmes3, car Bertou me remplaçant à cette heure-ci les d'elles, je pense que leur bulletin un peu amélioré vous arrive directement. J'ai vu hier l'évêque4 , gras et frais, chez la princesse Wittgenstein5, plus belle et plus aimable que jamais !! Je n'ai pas encore vu la duchesse de Galliera6, parce que j'ai été tous ces jours-ci une victime de l'Amour par procuration. Aujourd'hui que ce rôle est terminé, je me trouve rendu à mes propres sentiments, et ceux que je porterai dans la rue de Varennes sont toujours très fidèles. L'évêque est sincèrement content d'avoir accompli son voyage, et croit à la certitude d'un meilleur avenir. Il a la même espérance pour Versailles. Tout le monde ne se livre pas aisément au crime en criminel (Betka7 sait bien où je prends cette belle définition), et la main de presque tous les honnêtes gens recule quand on leur propose de donner un dernier coup de couteau à notre malheureux pays. L'échec de Bilbao8 à jeté le découragement même chez un prince qui, ne se nourrissant jamais que de chimères, avait cru que la victoire de son neveu coïnciderait avec le retour de l'Assemblée pour l'enflammer de l'enthousiasme royaliste ! Antoine9 lui-même me parait désormais rallié aux lois constitutionnelles10. Veuillez n'en pas trop concevoir trop de douleur, chère madame ou du moins ne permettez pas que ce chagrin porte une atteinte profonde à votre chère santé.
A. de F.