1880 |
7 février 1880
Henri Wallon à Alfred de Falloux
Paris, 7 février 1880
Monsieur et très honoré confrère,
M. le comte de Rességuier que j'ai rencontré mercredi soir chez M. le duc de Broglie, m'a dit que vous ne tarderiez pas à venir à Paris et j'en serais très heureux à tous égards. Les élections académiques, en effet pourraient bien ne pas tourner mieux que celles du sénat. M. le duc de Broglie m'avait dit qu'on porterait M. Maxime du Camp1 au Ier fauteuil et moi au second, ce que je souhaitais d'ailleurs par affection pour mon regretté collègue St René de Taillandier, et j'avais agi en conséquence dans mes visites de candidature. Mais voici que, tout à coup, on s'est décidé à réserver à M. Maxime du Camp le second fauteuil en me reportant au Ier où j'aurai pour compétiteurs MM. Labiche2 et Laboulaye3 qui auraient pu, sur le second fauteuil, se joindre aux quinze dont j'ai été honoré dans une précédente élection, si comme j'avais lieu de l'espérer, elles me restaient fidèles. C'était donc une élection assurée. Or voici, au contraire, si je suis bien renseigné (et je crois l'être) ce qui va se passer. Les amis de M. Laboulaye qui seront en minorité au Ier tour, se reporteront sur M. Labiche, et M. Labiche étant nommé, ses amis se joindront aux autres pour porter au second fauteuil et faire triompher M. Laboulaye si bien qu'au lieu de gagner deux fauteuils vous en aurez perdu deux. Si, ce que je regretterais beaucoup, on maintenait entre M. Maxime du Camp et moi ce nouvel ordre de candidature, il faudrait que ceux qui m'ont honoré déjà de leurs suffrages me restassent si absolument fidèles dès le Ier tour de scrutin, qu'il n'y eut plus qu'une ou deux voix ou plus à conquérir pour m'assurer le succès ; et ce succès déciderait de l'autre : car l'académie m'ayant nommé ne voudrait pas elle un autre sénateur membre comme moi d'une autre académie le même jour. Sinon, je n'aurais rien de mieux à faire que de me retirer : car je suis peu disposé à faire le jeu des deux candidats auxquels on m'oppose.
J'avais vu hier M. le duc de Broglie assez frappé des inconvénients que je lui signalais mais avant qu'il eût pu y aviser, M. Maxime du Camp avait écrit sa lettre de candidature pour le second fauteuil ce qui était, quant à lui, trancher la question. Quoiqu'il arrive, veuillez, Monsieur et très honoré confrère agréer l'assurance de mes sentiments affectueux et dévoués que rien ne pourra altérer.
H. Wallon