CECI n'est pas EXECUTE 1er avril 1870

Année 1870 |

1er avril 1870

Alfred de Falloux à Charles de Montalembert

Dijon, Ier avril 1870 (pour vous seul)

Monsieur,
Que va-t-il advenir du Correspondant ? Sous le coup de l'Encyclique de 1864, MM.de Montalembert, de Broglie, Cochin, voulaient se retirer de la mêlée1 : qui sera-ce après que l'Église, par la voix d'un Concile Œcuménique, aura répudié (sinon condamné catégoriquement) la ligne que nous avons suivis pour la défendre. ?
En 1865, votre intervention a sauvé le recueil : vous seul aviez assez d'autorité pour faire contrepoids au découragement profond qui s'était emparé des autres généraux. Le Correspondant a vécu, il a prospéré : bien que l'article du 10 octobre2 lui ait fait perdre deux ou trois cent abonnés au sein du clergé ; le recueil est dans une voie florissante. Mais qu'en adviendra-t-il le lendemain de la promulgation du dogme de l'infaillibilité et des schémes de Ecclesia ?  

On peut espérer contre toutes invraisemblances que le Conseil ira moins loin qu'il il ne semble ; mais il faut se tenir prêt à se soumettre à ses décrets quels qu'ils puissent être ; et il est sage de se demander dès à présent ce que deviendra le Correspondant dans la plus probable hypothèse  , qui est celle-ci :la proclamation de l'infaillibilité du souverain pontife et la promulgation par lui seul ex cathedra ou par le Concile (s'il se réunit encore après la prorogation qui suivra la proclamation du dogme) de tous les schèmes préparés par les théologiens que vous savez/

Eh bien ! Dans cette hypothèse, il m semble évident que M. le duc de Broglie se retirera. Je serais surpris que M. Cochin n'en fit pas autant. Encore une fois, cela arrivant, que deviendra le recueil ! Si j'en juge par ce qui s'est manifesté devant moi dans les conférences tenues à Dijon au mois de janvier 1865, à l'occasion de l'Encyclique, M. de Gaillard est le moins papiste de nous tous. A supposer qu'il consente à rester après que nous aurons été implicitement désavoués par le Concile pourra-t-il tenir le gouvernail d'une main sûre ? Et s'il faut le remplacer comme directeur du recueil, qui avons-nous à mettre à sa place ?

J'avoue que je n'ai pas de réponse à cette question dernière ?

On peut espérer contre toutes invraisemblances que le Conseil ira moins loin qu'il ne semble ; mais il faut se tenir prêt à se soumettre à ses décrets quels qu'ils puissent être ; et il est sage de se demander dès à présent ce que deviendra le Correspondant dans la plus probable hypothèse  , qui est celle-ci :la proclamation de l'infaillibilité du souverain pontife et la promulgation par lui seul ex cathedra ou par le Concile (s'il se réunit encore après la proclamation Tout ce que je vois, c'est que le Correspondant est une force (et une force considérable)) au service du bien. Il a un public qui lui est acquis et à qui il manquerait cruellement qui nous nous retirions de la lice. Ce public est l'élite de la société catholique, l'élite de la jeunesse catholique. Si la religion n'est plus représentée en France que par MM. Veuillot (pour L'Univers, pour Le Monde et pour la Revue du monde catholique), la foi d'un grand nombre est en péril. Beaucoup apostasieront plutôt que de subir le joug "de cette bande de malfaiteurs dont vous êtes esclaves ou victimes depuis vingt ans" comme le dit l'évêque d'Orléans dans la lettre qu'il m'a écrit le 23 mars.
Donc il faut tenter les derniers efforts pour faire vivre
Le Correspondant en toutes hypothèses. Sans contredit, il ne peut vivre qu'en demeurant orthodoxe et, sous ce rapport il devrait surveiller sa rédaction avec scrupule. Il resterait sur la brèche pour maintenir parmi les catholiques le sentiment de l'honneur, le goût des choses élevées, le dégoût du veuillotisme, une juste appréciation du passé et du présent. Certes les définitions du Concile circonscrivent fort le champ de bataille. Et pourtant que n'a pas su faire Lacordaire trois ans après l'Encyclique de 18323 ?

Intelligenti pauce4. Je me borne à ces deux mots et j'ose solliciter une réponse.

A vous profondément.

Foisset


Notes

1Publiée le 21 décembre 1865 dans le Journal de Rome l'encyclique Quanta cura était un véritable désaveu du catholicisme libéral ; le coup fut tel pour les responsables du Correspondant que plusieurs d'entre eux, et en premier lieu Montalembert, le duc de Broglie et A. Cochin, songèrent alors à quitter le recueil. Seule la détermination de Falloux les convaincra de  renoncer à leur décision.
2Rédigé par le duc de Broglie sous l'inspiration de Mgr Dupanloup, cet article-manifeste développait plusieurs arguments soulignant inopportunité d'une proclamation de l'infaillibilité pontificale.  
3L'encycique Mirari vos avait condamné le journal L'Avenir de Lamennais auquel Lacordaire avait collaboré, aux côtés de Monatlembert.
4À qui sait comprendre peu de mots suffisent.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «1er avril 1870», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, Année 1870, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 05/04/2013