CECI n'est pas EXECUTE 13 février 1859

Année 1859 |

13 février 1859

Alfred de Falloux à Charles de Montalembert

13 septembre 1857

Cher ami,

Melun vous a écrit pour moi, le jour même de notre irréparable malheur1. Depuis, j'ai voulu recueillir avec certitude et calme les notions qui devaient le plus vous intéresser. Ce matin, ne suis en mesure de vous faire participer aux consultations que Dieu nous accorde et je ne perds pas instant. Elle m'avait dicté votre nom parmi ceux pour lesquels elle voulait combiner (c'était son expression) un souvenir. Les souffrances ne lui en ont pas permis davantage. J'y ai donc suppléé de mon mieux en demandant pour vous à ses neveux un reliquaire en bois sculpté et doré avec ses reliques qui étaient à l'entrée de sa chapelle. Je les remets entre les mains de Fontaine2 qui vous le fera parvenir selon vous instructions. J'ai pensé qu'un objet pieux auquel les regards de Madame de Montalembert3 et ceux de vos filles pourraient s'attacher comme les vôtres, était ce que vous préfériez vous même. Quant à sa chapelle même, on n'en pouvait rien distraire, son vœu formel étant que ce petit sanctuaire soit reconstruit aussi intégralement que possible. C'est ce soin dont les difficultés ne sont pas encore résolues, qui me retient encore à Paris et n'y fera probablement rester jusqu'à la fin la semaine. Elle m'a légué tous ses papiers. Ils sont volumineux et nous y trouverons beaucoup plus de traces d'elle même, que je n'avais ose l'espérer. Ce trésor vous attendra au Bourg d'Iré. Vous me guiderez dans le meilleur emploi  à en faire et me prêterez, cher ami, tout ce qui me manque pour m'élever  à la hauteur d'une telle confiance. Elle laisse un inventaire de mille francs en legs de [mot illisible] et de charité mais sans forme légale. Ses neveux ont tout exécuté dans les 24 heures, avec la plus touchante délicatesse. Elle a interdit toute pompe pour ses obsèques. Elle sera conduite demain au petit cimetière de Montmartre où sa place était déjà préparée par elle à côté de son mari : "Je demande, écrit-elle, qu'on couvre ma tombe d'une pierre semblable à la sienne ; on y gravera une croix, mes noms et prénoms, Sophie Jeanne de Swetchine, née Soymonoff, avec la date de ma naissance, 22 décembre 1782, celle de ma mort, et au dessous les paroles du psaume : « Domine dilexi decorem domus tuae et locum habitationis gloriae tuae4".

Maintenant, cher ami, voici une pensée qui vient uniquement de moi et à laquelle par conséquent vous n'êtes pas le moindrement tenu à vous associer. Elle avait sept ou huit pauvres de prédilection auxquels elle donnait environ 60 francs par an à chacun, en ajoutant quelques douceurs de temps en temps. J'ai pensé non seulement à la détresse, mais au regret de ces pauvres gens pour lesquels elle avait les mêmes délicatesses et les mêmes prévenances que pour ses plus illustres amis. Je voudrais donc que chacun de ces pauvres fut adopté par un ou plusieurs d'entre nous qui se réglerait sur cet ineffable modèle, autant que possible. J'en ai la liste et les adresses. Si vous en voulez une vous le direz à Fontaine auquel je laisserai les réponses à recevoir de Madame Gontaut5 qui est au loin et de quelques autres. À la minute même où j'aurai rempli sa dernière volonté, je quitterai Paris pour regagner Caradeuc (Becherel, Ille-et-Vilaine). C'est là que m'attendent ma femme et Loyde, mon frère6 ayant quitté le Bourg d'Iré hier. J'aurai en Bretagne plus de recueillement et de possession de moi-même qu'en Anjou. J'espère y passer au moins un mois. Je l’emploierai, s'il m'est donné, à consigner par écrit les trois dernières semaines d'un si admirable exemple. Vous serez la première personne, cher ami, à qui ce récit sera adressé. Je vous embrasse en faisant tous mes efforts pour donner à ma douleur le caractère que lui commanderait celle que nous pleurons.  

Alfred.

Albert de Broglie m'écrit pour demander au Père Lacordaire deux messages annonçant dans le prochain Correspondant la perte que viennent de faire toutes les âmes chrétiennes. J'ai envoyé cette lettre même à Sorèze, heureux de pouvoir ainsi vous ménager vous même sans remords pour autrui.

Notes

1La mort, le 10 septembre 1857, de  Madame Swetchine, égérie des catholiques libéraux, Madame  est le sujet principal de cette lettre.
2Secrétaire de Falloux.
3Marie-Anne Henriette Ghislaine dite Anna de Montalembert( 1818-1904), née de Mérode, son épouse depuis 1836.
4J'ai aimé, Seigneur, la beauté de votre maison, et le lieu où ta gloire habite. J'ai aimé, Seigneur, la beauté de votre maison, et le lieu où ta gloire habit .
5Adèle Gontaut-Biron, née de Rohan-Chabot (1793-1869), sœur du cardinal de Rohan. Fervente catholique.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «13 février 1859», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, Année 1859, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 19/01/2013