CECI n'est pas EXECUTE 18 novembre 1858

Année 1858 |

18 novembre 1858

Alfred de Falloux à Francisque de Corcelle

18 novembre [1858]

Cher ami,

Votre lettre m'est revenue du Bourg d'Iré tardivement et j'allais vous en remercier au moment même où m'arrive votre second billet si plein de la plus indulgente affection. Je l'ai aussitôt passé à Albert qui le sent aussi vivement que moi-même.

Je n'attendais pas sas quelque anxiété votre arrêt sur ma missive bretonne, et vous pouvez juger si me voilà rassuré ! Faites-en donc tout usage que vous pourrez juger utile. Annotez ou biffez la phrase sur les pauvres laïques ; pour moi je n'ai entendu leur attribuer aucune mission précise assurément, et n'ai voulu faire qu'alliance à un droit tout humain. Mais de ce qui est entre vos mains, je ne m'inquiète plus. C'est pour cela que j'y voudrais voir de plus en plus la confiance et par conséquent la politique du Saint-Siège. S'il est difficile de désavouer ou de modérer un journal qui vous défend, il l'est bien plus encore et il le sera chaque jour davantage de sortir des difficultés, qu'il crée. Mais vous sentez cela comme personne, cher ami, et je commencerai à faire un grand cas de ma philippique si elle suscite un ample commentaire et son développement de votre façon.

Je vous abandonne ce sujet pour revenir à notre cher et infortuné Correspondant. Vous me demandiez dans votre lettre qui a fait le voyage d'Anjou, pourquoi nous avions résolu de faire sauter la Sainte-Barbe. Hélas ! Personne de nous n'y avait songé. Pour mon compte, je dois vous avouer en toute humilité que j'avais été un de ceux qui avaient demandé le moins de ratures. Je trouvais l'article si brillant et si coulé d'un seul jet, j'étais si sûr d'un grand effet sur le public, on nous avait tant répété que, depuis le renvoi

du général Espinasse1, le gouvernement laissait à la presse une latitude plus intelligente que je ne redoutais même pas un avertissement. Mon aveuglement n'allait pas jusqu'à ne point apercevoir les trois ou quatre phrases irritantes mais tout l'ensemble de l'article était une si éloquente glorification de la politique étrangère du gouvernement et un si vigoureux coup de collier en sa faveur, que j'ai cru aussi bêtement que possible à la supériorité des grandes raisons sur les petites. A quelques nuances près nous en avons tous été delà ; aussi vous suis-je aussi reconnaissant que doit l'être Montalembert lui-même de votre absence de récriminations.

Je vous quitte bien à la hâte, cher ami, et à grand regret ; mais je ne veux pas retarder ma réponse d'un seul courrier et je n'ai plus qu'une minute à ma disposition. Albert et moi vous embrassons de tout cœur.  

Alfred.

Je compte rester ici jusqu'au 5 décembre, au 15 chez le Père Lacordaire, Sorèze (Tarn), de là au Bourg d'Iré par Paris si j'ai chance d'entendre MM. Berryer et Dufaure en Cour d'appel2.  

Notes

1Espinasse, Charles-Marie-Esprit (1815-1859), général. Sorti de Saint-Cyr en 1833 avec le grade de sous-lieutenant, il est envoyé en Algérie. Revenu en France en 1849, il participe à l'expédition de Rome. Il prit part au coup d'état du 2 décembre 1851. Nommé général, il devint après l'attentat d'Orsini, ministre de l'Intérieur  du 7 février au 14 juin 1858, date à laquelle il entra au Sénat. Il mourut durant la guerre d'Italie, à la bataille de Magenta, le 4 juin 1859.
2Pour la défense de Montalembert et du Correspondant l'un et l'autre condamné pour l'article de Montalembert « Un débat sur l'Inde au parlement anglais ».

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «18 novembre 1858», correspondance-falloux [En ligne], Année 1852-1870, Second Empire, Année 1858, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 30/03/2013