1870 |
24 septembre 1870
Pauline de Castellane à Alfred de Falloux
Samedi, 24 septembre 1870
Cher ami, merci de votre billet du 23 reçu ce matin. L'Union de l'Ouest ne parle pas plus, aujourd'hui encore, de votre candidature que de toutes autres dans le Maine-et-Loire. Mais Le Français l'annonce, lui, en même temps que celle d'Arthur de Cumont. Nous espérons que Le Français dit vrai. Hier tantôt, le trio de céans s'est transporté à Tours ; Madeleine1 pour se renseigner sur les blessés qu'il paraît que nous aurons à recevoir aussi, la semaine prochaine, Bittout pour affaires électorales, moi pour voir l'amirale. J'ai vu, tout en goûtant chez elle, son mari qui sortait d'un conseil, et une nièce ancienne compagne de couvent de Marie dont le mari, Monsieur Bergasse du Petit Thouars2, est avec ses marins dans la citadelle de Strasbourg. Elle venait de recevoir de lui un billet finissant à peu près ainsi : « je pense aller chaque matin passer quelques moments à l'église, j'y ai communié ce matin. L'un des prêtres du grand séminaire m'est <deux mots illisibles> Je t'embrasse et te bénis avec nos enfants".
Cette jeune femme s'est, comme sa sœur très malade et femme, elle aussi, d'un officier, réfugiée avec ses enfants de même que la maréchale Bazaine3, dans l'une des maisons de nos sœurs blanches de Tours. La maréchale avait par le dernier ballon de Metz reçu un billet de son mari. Santé bonne !
L'un de ces bienfaisants ballons a-t-il aussi apporté à Claire ou à sa mère des nouvelles du duc de Nieswill4 ? Je n'en reçois plus aucune de Marie. La dernière lettre venue par voie de Suisse est datée du 12...
Redoublez, mes amis, redoublez vos prières pour son mari... Et aussi pour Antoine, mon fils, dont la compagnie sera probablement, appelée à marcher. Daignes, daignes Dieu nous épargner ! À la Marine on est très inquiet du sort de Bertrand de Langsdorff5 qu'on craint qu'il se soit perdu par l'atroce tempête d'il y a quelque temps, avec la prise prussienne qu'il ramenait. On cache cette inquiétude à sa pauvre grand mère qui est toute à la joie de ce que ses petits-fils d'Harcourt sont sortis sains et saufs de Sedan... Antoine de Chabannes6 qui, n'ayant pas voulu signer cette inqualifiable capitulation était emmené prisonnier, est parvenu à s'échapper, est tombé comme une bombe chez sa tante à Maintenon, avant qu'elle ne quitte et après s'y être nettoyé et un peu reposé a repris sa course vers Paris où il pensait pouvoir pénétrer pour la défendre. Malgré ses 72 ans, le général Bertin de Vaux7 (à ce que, de Pau, sa fille très angoissée m'écrit aujourd'hui) y occupe une position fort inquiétante ayant été nommé (à l'unanimité) chef de bataillon de la Garde nationale, Ier Bataillon, Ière Légion, bastion de 58 à 62 aux environs du Fort de Clamart).
Mme de Rayneval8 demande qu'on prie pour son père9. Vous devez savoir que c'est une une fausse alerte qu'a eu Orléans. Non seulement les Prussiens ne s'y sont pas montrés, mais leur marche semble ralentie et les gouvernants ont renoncé à s'éloigner de Tours, quant à présent du moins. J'ai demandé conseil, pour ce qui regarde mes parages, et celui de demeurer tranquille m'a été donné. En effet, il y aurait lieu à effrayer les populations si les maisons principales étaient quittées par leurs propriétaires. D'ailleurs, là où pas un coup de feu n'est tiré sur l'ennemi, celui-ci se contente d'imposer les réquisitions. Il ne brûle ni ne pille et passe seulement en requérant. Enfin, l'ennemi est encore loin et ne viendra peut-être même pas, par ici, de Tours, si il va jusqu'à Tours. Pour vos vaches même, vous voyez donc que vous n'avez pas de précaution à prendre, quant à présent du moins. Et j'ai promesse d'être avertie à la première allerte [sic].
Vous le seriez par moi aussitôt après. Seulement, comme il n'est pas impossible que l'ennemi se dirige des environs de Paris sur l'Ouest, par le côté du Mans, faites vous tenir au courant, par ce côté là aussi. A Tours, on assure que les élections auront lieu certainement le 2 octobre, qu'elles sont absolument indispensables bien qu'elles paraissent comme impraticables bien qu'elles se feront, c'est en vue de cela que Bertou, avec son dévouement ordinaire et malgré l'extrême agacement nerveux qui lui est resté de son indisposition avant-hier, parcourt aujourd'huy [sic] notre commune et vous fait dire à tous ses profondes amitiés. A Tours, on n'a pas confiance dans ce bruit et une grande victoire <trois mots illisibles> et la fièvre jaune en Espagne ! Et l'armée italienne dans Rome ! Et Toulouse! Je ne peux m'empêcher de songer aux prédictions de M. de La Valette10 et de frémir. Combien, ah! combien nous avons pêché, pauvre Europe et notre surtout bien aimée France pour mériter de si grands, de si extraordinaires châtiments !
Madeleine, qui va mieux cette semaine-ci que la dernière et dont l'âme est aussi fermée que son cœur est <mot illisible>, vous embrasse amis chéris. Et moi de même, et avec quelle tendresse ! De quelle date est la lettre que vous avez reçu de Georges mon petits fils.