1878 |
2 octobre 1878
Guillaume Meignan à Alfred de Falloux
Chalons, le 2 octobre 1878
Monsieur le Comte,
Pendant le Congrès de Soissons les évêques ont pris souvent la parole : mais aucun d'eux, pas même l'archevêque de Reims1, président, n'a fait de discours proprement dit. Après la lecture des rapports nous faisions nos observations. Celles que j'ai faites n'ont point été reproduites ni mentionnées si ce n'est d'une manière générale dans des comptes-rendus fort incomplets. Je dois confesser en toute humilité que les paroles de modération que j'ai fait entendre ont produit l'effet d'un sceau d'eau froide sur un foyer incandescent et causé quelque étonnement aux congressistes de Chartres arrivés à Soissons. Je ne veux pas aller plus loin cette fois ; et je vous saurais gré de ne point initier le public à des débats que mon archevêque, Mgr de Reims, entend exposer plus tard suivant les circonstances : et selon des habitudes d'extrême réserve. La province de Reims forme un groupe d’évêques très modérés ; et les congressistes n'ont pas été tous très contents de nous. Je vous dis ces choses pour vous tenir au courant, mais on ne saurait tenir mauvais gré d'avoir livré à la polémique qui que ce soit de ce qui s'est passé à Soissons ; et ce serait me rendre un mauvais service dans mon diocèse de me faire intervenir personnellement. Je vous prie donc de faire ce que j'ai eu <mot illisible> de vous communiquer. Mon opinion est que les journaux religieux ont associé l’Église à la légitimité d'une manière compromettante. On dirait, à leur langage, qu'ils ont pris des engagements à cet égard. Ils compromettent, par l'intempérance de leur langage à la fois le clergé et le comte de Chambord. Cette opinion m'a paru celle de mes vénérables collègues qui l'ont plus ou moins clairement exprimés. J'ai dit que les Cercles catholiques étaient une œuvre mal conçue, sans racine ; qu'il ne suffisait pas de créer à grands frais des lieux splendides de réunion. Mais qu'il fallait auparavant conquérir les ouvriers et les convertir. C'est peu d'avoir un état-major superbe, si l'on a pas de soldats. Les paroles éloquentes, sonores, tendancieuses appelleront des curieux, détermineront des applaudissements ; mais tout cela sera un vain fruit ; ou plutôt tout cela se résumera dans des actes provocateurs dont nous serons les victimes. Les cercles catholiques, ai-je dit, sont une œuvre en l'air. Les cercles catholiques sont trop bruyants, ils sont impolitiques. Faire tant de bruit pour si peu de résultat, c'est exposer <mot illisible> de faibles détachements au feu d'une armée rangée en batailles. A peine les catholiques ont-ils occupé une petite position de guerre qu'ils <avouent> force drapeaux, sonnant le clairon ; c'est ainsi qu'ils se font débusquer des points occupés. J'ai pris à part M. Armel2, le patron de l'établissement du Val du Bois3 et je lui ai signalé en détail les imprudences commises en lui faisant remarquer combien le mot contre-révolution était mal choisi, imprudent ; et comment il serait interprété par nos communs ennemis4. Plusieurs sont convenus que j'avais raison. Ce que je vous écris, Monsieur le Comte, est uniquement pour satisfaire votre curiosité personnelle, mais pas du tout pour le public. J'admire comment, à un âge où le repos est si bon, vous vous engagez encore si vaillamment dans la lutte, où les coups les plus sensibles viendront du côté de ceux que vous défendez. Je vous remercie de ce que vous voulez bien faire dans l'intérêt du livre que j'ai publié. Agréez l'assurance de mon profond respect.
Guillaume [Meignan], ev. de Chalons
P. S. Je pars demain pour l'Italie. Je vais déposer mes hommages aux pieds de Léon XIII.