1873 |
6 avril 1873
Alfred de Falloux à Jules de Bertou
Angers, 6 avril 1873
Cher ami, Marie va un peu mieux, c'est-à-dire qu'elle a joint un peu de temps très léger à de la gelée de viande et à de la purée, sans permettre encore à sa tête et à tous, et à tout le reste, le matelas. Je lui ai dit que vous vous offriez toujours pour la soigner ; elle vous remercie beaucoup, mais ne permet encore à qui que ce soit d'entrer dans sa chambre. M. Farge1 continue à soutenir qu'il n'y a pas un atome de maladie en dehors d'un rhumatisme qui ne veut pas encore descendre l'escalier. Quant à moi, je marche beaucoup, n'écris plus, et ne lis qu'à peine M. de Belcastel, juste ce qu'il en faut demeurer bien convaincu que c'est tout à fait un fou ou tout à fait une canaille, et que dans l'une ou dans l'autre hypothèse, je n'ai plus à m'en occuper. Quant au Correspondant du 10, vous savez déjà par moi qu'il vous apportera seulement ce que vous connaissez depuis l'hiver dernier. Je regrette beaucoup, au fond du cœur, de manquer pour cette fois M. Laurentie2, mais enfin, je n'aurai pas manqué ceux qui m'ont de nouveau provoqué sur le discours de Meaux, si j'en crois l'impression des Parisiens qui m'écrivent après avoir lu l'épreuve dans les mains de Douhaire3. Cela me rappelle une châtelaine qui me disait : «Nous avons des vignes, mais nous n'avons pas de vin ; que voulez-vous, on ne peut pas tout avoir ! »
Je m'inquiète peu de Grévy4 qui n'en fera pas plus long aujourd'hui qu'en 1848 et en 1851 ; mais je me réjouis beaucoup de la nomination de Buffet5, à laquelle M. Thiers semble donner le même sens que moi, car il a dit, avec l'accent le plus amer, m'écrit un versaillais : « Ils viennent de faire ce dont je ne les aurais jamais crus capables, ils se sont entendus sur un homme ! » Il sent bien que s'entendre pour renverser un président d'assemblée mène tout droit à s'entendre pour renverser un président de République.
Veuillez adresser à Lambel6 mes tendres félicitations. Avez-vous eu la bonté de peindre à Mme de Rocheplatte7 toutes nos misères. Si vous n'avez pas cru pouvoir le faire, avertissez-moi pour que je m'excuse directement. Nous ne lirons que ce soir Cuvillier-Fleury, quand Marie nous aura fait quitter sa chambre pour essayer de dormir un peu. J'ai toujours un pied sur la marche du chemin de fer de Rochecotte. Au revoir, au revoir, Alfred.