CECI n'est pas EXECUTE 20 avril 1873

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20 avril 1873

Alfred de Falloux à Pauline de Castellane

Angers, 20 avril 1873

Chère Madame,

Je suis arrivé à bon port mais très fatigué, et malheureusement, j'ai trouvé Marie encore plus fatiguée que moi par une très petite promenade en voiture qu'elle avait faite le jeudi ; elle en avait eu une vraie fièvre, dans les traces étaient encore sensibles à mon arrivée. Cette nuit-ci a été meilleure et le médecin croit que cette petite rechute en restera là ; mais c'est toujours l'avertissement d'une extrême faiblesse qui exigera de bien longs ménagements. Je ne vous répète pas toutes les tendres questions qui m'ont été faites sur Rochecotte, et les remerciements spéciaux de Loyde, parce que j'aime mieux garder mon papier pour ce que vous ne savez pas d'avance.

L'effet produit par les extraits de la brochure Muller1 a été si vif et le tollé a été si général qu'une réunion des actionnaires de l'Étoile a été si générale, sur leur expresse demande, fixée à mardi prochain pour délibérer sur l'expulsion de Muller. Cet homme prévoyant s'est assuré un dédit qui va devenir un gros argument en sa faveur, peut-être pour les plus indignés eux-mêmes ; mais le minimum sera une forte leçon dont nous avons déjà les prémices car L’Étoile est plus que jamais occupée à paître un petit gazon d'agneau loin de tout bruit et de toute querelle.

La paix s'est faite de même non seulement entre l'évêque2 et ses deux donataires, mais, si l'on en croit de bons renseignements, entre les deux cousines elles-mêmes, que personne n'avait pu rapprocher depuis nombre d'années. L'évêque, paraît-il, avait été surpris par l'assaut matinal de Madame de Quatrebarbes, et l'avait laissée sortir victorieuse, mais il a bientôt pris une habile revanche, et il s'est rendu en grand fiocchi chez les deux comtesses, pour leur tenir le langage suivant : « quand la providence veut combler un pays de ses bénédictions, elle y fait naître de grands esprits et de grand cœur, dans de grandes situations, pour y devenir des instruments prédestinés et privilégiés. Vous êtes l'une et l'autre un de ces instruments manifestes, par la grandeur de vos qualités, de vos noms et de vos fortunes ; vous ne pouvez retourner tout cela contre celui qui vous l'a donné pour le bonheur de l'Anjou et pour les œuvres de l’Église. » Ce noble langage a tellement ému ces deux auditrices, qu'elle passe maintenant leur temps à s'embrasser et a se demander un pardon réciproque pour leurs anciennes querelles. Le curé de Saint-Laud3 résiste encore, mais comme la menace de l'interdit persiste de son côté, le dénouement n'est plus douteux.

Les sœurs garde-malades se seraient disputées l'honneur d'aller près de vous, mais elles ont une maison à Tours, et leur règle interdit absolument l’empiétement d'une juridiction sur l'autre ; on assure en même temps que la maison de Tours et des religieuses sont distinguées.

Mes plus respectueuses impertinences à Monsieur l'abbé Couvreux et à Monsieur le comte de Bertou.

Alfred

Notes

1Muller, Charles, François-Xavier (1823-1898), journaliste. Après avoir débuté comme journaliste à L'Alsace de Strasbourg, il était venu s'établir à Laval pour y fonder La Mayenne puis à Angers où, en novembre 1871, il avait cofondé, avec Mgr Freppel, L’Étoile, un quotidien légitimiste et catholique, dont il était le rédacteur en chef, apportant un soutien indéfectible au comte de Chambord.
2Il s'agit de Mgr Freppel, évêque d'Angers.
3Église de Saint-Laud à Angers.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «20 avril 1873», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, 1873, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 17/05/2013