CECI n'est pas EXECUTE La Monarchie de Juillet- Voyage en Europe

De Charles X à Louis-Philippe |

La Monarchie de Juillet- Voyage en Europe

Les légitimistes et la Monarchie de Juillet

  L'installation du régime de Juillet avait aussitôt été suivie d'une importante vague de démission des légitimistes.  Dés le mois d'août, plus de cinquante députés fidèles à la branche aînée refusèrent de prêter serment à Louis-Philippe et quittèrent la Chambre. Ils seront rejoints peu après par treize autres de leurs collègues déclarés démissionnaires.  En définitive, seule une quarantaine d'élus groupés autour de Berryer accepteront de prêter serment. Quant aux pairs, une loi excluait ceux qui avaient été nommés par Charles X, les autres étant, pour la plupart, déchus pour refus du serment (notamment Chateaubriand, Mgr de Quélen, Bonald, et Des Cars). Une minorité de dix d'entre eux, dont Fitz-James et Dreux-Brézé, choisira de conserver son siège.

  Le mouvement de démission des légitimistes, rapidement relayé par une épuration sans précédent1, ne concernait pas seulement les parlementaires. Il affecta également l'administration, l'armée et la magistrature.

 Trop jeune pour occuper un poste et donc pour avoir à se prononcer sur la question du serment, Falloux ne songeait cependant nullement à se rallier au nouveau régime. Tout en désapprouvant et condamnant les plaisanteries légitimistes sur Louis-Philippe et ses fils, il restait à distance de la société nouvelle: « je n'aurais pour rien au monde mis les pieds dans un salon orléaniste. »  

  Démissionnaires ou démissionnés, les partisans de la branche aînée étaient retournés sur leurs terres s'y faisant construire ou restaurer de belles demeures et surtout participant, notamment dans l'ouest, à l'amélioration de l'agriculture. Si les avantages de ce retour paraissaient indéniables (regain d'influence sur les masses paysannes), les inconvénients ne l'étaient pas moins car les légitimistes se coupaient ainsi du monde urbain alors en plein essor. Cette émigration de l'intérieur n'aura pas à long terme les effets escomptés. Loin de contribuer à l’affaiblissement du régime, l'attitude abstentionniste des légitimistes, désormais écartés du mouvement des affaires, aboutira à leur propre isolement. Berryer, qui avait conservé son mandat de député, en était tout à fait conscient et n'aura de cesse de convaincre ses amis d'abandonner une conduite si préjudiciable à la cause légitimiste.

  Accepté, sans doute avec soulagement, par la majorité de ses partisans, la décision de Charles X de surseoir à une insurrection fut combattue par un petit nombre d'irréductibles qui préparaient activement un coup de force. Ces désaccords avaient leur source au sein même de la famille royale. Charles X ne semblait pas avoir accepté pleinement toutes les conséquences de sa décision prise le 2 août 1830 d'abdiquer en faveur de son petit-fils, le duc de Bordeaux, âgé de dix ans. Bien qu'il ait confirmé les termes de son abdication quatre mois plus tard, le 27 novembre, il faisait tout pour conserver les rênes du pouvoir. Dans l'acte du 27 novembre, il avait pris soin de se réserver l'exercice de la régence jusqu'à la majorité du duc de Bordeaux.2. Cette disposition n'était pas du goût de la duchesse de Berry qui, en tant que mère du roi mineur, estimait que la régence devait lui revenir3. Contre l'avis de Charles X, la duchesse était par ailleurs pressée d'agir. En janvier 1831, elle avait obtenu,  non sans mal, l'aval du roi pour une action militaire. Mais le conflit avait resurgi quelques semaines plus tard, la duchesse ayant refusé de se soumettre au conseil de régence que Charles X venait d'instituer et à la tête duquel il avait placé son fidèle conseiller, le duc de Blacas. Le roi était aussitôt revenu sur ses concessions en faveur d'une reconquête armée du pouvoir et avait fermement désavoué tout projet de cet ordre. N'ayant nullement l'intention de renoncer, la duchesse de Berry avant quitté la famille royale pour se rendre en Italie. Elle se rapprochait ainsi du midi de la France où devait avoir lieu le soulèvement qu’elle avait concocté. Ce soulèvement sera ajourné une première fois en juillet, peu après les élections générales du 5 juillet 1831. Les résultats, qui donnèrent une majorité écrasante aux partisans de Louis-Philippe témoignaient d'une rapide consolidation des assises du régime. L'issue du scrutin avait été désastreuse pour les légitimistes qui n'obtinrent que deux élus dont Berryer dans les Bouches-du-Rhône. Décevant pour ceux qui préconisaient l'action légale et parlementaire, cet échec ne pouvait qu'encourager les partisans du recours à la force. Berryer lui-même, qui ne passait pourtant pas pour un exalté, n'y était pas totalement hostile. Mais beaucoup tergiversaient. Dès la fin de 1831, la Gazette de France, principal organe du parti, condamnait l'option militaire. Mal conseillée, n'écoutant que les discours les plus enflammés, la duchesse, dont le tempérament était impétueux et plutôt optimiste, refusa de tenir compte des mises en garde de certains légitimistes. Ayant fixée au 30 avril 1832 la date du soulèvement, elle débarqua, la veille, à proximité de Marseille. Mais l'expédition s'annonçait mal. Son navire ayant été repéré avant même qu'elle ait pu toucher le sol français, des troupes avaient été mises en alerte. Par ailleurs, le nombre des volontaires, à peine une soixantaine, était très loin d'être celui espéré. Les conjurés furent rapidement neutralisés.

 Cet échec ne découragea pas Marie-Caroline. Plutôt que d'abandonner, comme l'y invitait son entourage, elle décida de réitérer son projet en Vendée, convaincue que les populations de cette vieille terre de fidélité ne feraient pas défection. Berryer, qui s'était rendu en Vendée en février pour assurer la défense de plusieurs chouans, lui aurait fait part de l'accueil enthousiaste qu'il y avait reçu4. En sa qualité de secrétaire général du gouvernement provisoire désigné par la duchesse, Berryer, si l'on en croit De Changy, aurait pressé l'aventurière d'agir5. Pourtant, l'un des biographes du célèbre avocat souligne qu'il aurait toujours regardé le soulèvement de la Vendée comme «dangereux et inefficace». Berryer aurait même remis à la duchesse une lettre du comité royaliste de Paris lui demandant de renoncer à son projet et de sortir immédiatement de France6.  

Quoi qu'il en soit,  l'ordre de soulèvement, prévu le 24 mai, fut repoussé au 4 juin. Mais entre-temps un début d'insurrection prématurée avait alerté les autorités. Le dispositif militaire mis en place après l'affaire du midi fut aussitôt renforcé. Découverts à la suite de diverses perquisitions, les plans du soulèvement permirent au gouvernement d’infiltrer les réseaux royalistes. Il ne fallut pas plus de quelques jours au pouvoir pour stopper net l'entreprise et maîtriser totalement la situation. Dés le 7 juin, Berryer était arrêté aux portes d'Angoulême. Mais la duchesse ne désarmait pas. Niant l’évidence de l’échec, elle continuait d'espérer. Trahie par l'un de ses agents, elle sera arrêtée le 8 novembre à Nantes où elle se cachait.  

  Dans l'Ouest, nombre de cadres légitimistes avaient répondu à l'appel de la duchesse. Les représailles y seront d'ailleurs beaucoup plus vives qu'à Paris ou même dans le Midi. Selon le préfet du Maine-et-Loire toutes les familles nobles des arrondissements de Beaupréau et de Segré auraient conspiré contre le gouvernement. Mais à la différence de l'arrondissement de Beaupréau où le mouvement insurrectionnel fut déclenché et « où tout le monde s'est mis à découvert »7, dans le Segréen, au contraire la révolte ne put éclater, « les mesures promptes qui ont été prises en lançant des mandats d'amener contre les principaux chefs, ont dérangé tous leurs projets »8. Guillaume de Falloux ne figure pas parmi les nombreuses personnes appréhendées dans l'arrondissement de Segré.   

  Revenu en Anjou peu après l'aventure de la duchesse, Falloux évoquera ainsi certaines des mesures de représailles prises par les autorités de Juillet: «plusieurs de mes voisins obligés de s'expatrier avaient été sévèrement condamnés par contumace. Les moindres villages reçurent une garnison. Le Bourg d'Iré eut la sienne, installée au château de la Bigeottière, vieille demeure de Montmorency où la comtesse de Laval avait reçu Fenelon son cousin. A Noyant-la-Gravoyère, le château de M. de Candé parut assez vaste pour être changé en caserne

  Falloux reprochera à la restauration de s'être montrée très ingrate envers la Vendée, ne faisant rien pour le département et la région. En revanche, il saura gré au régime de Juillet d'avoir compris que «pour porter un coup décisif à l'esprit d'insurrection, il fallait ouvrir les départements de l'ouest, construire des routes et des chemins vicinaux. L'esprit moderne qu'on voulut jadis imposer par le fer et le feu avait été repoussé avec énergie. On les lui présente à partir de 1832 sous la forme d'un accroissement de bien-être et de richesse. L'accueil ne fut plus douteux, la Vendée militaire devint et resta un magnifique souvenir...»9. Désireux de soulager les misères inévitablement engendrées par cette crise au cours de laquelle beaucoup de paysans avaient été compromis par eux-mêmes ou par leurs enfants, il se promettra «de ne jamais passer une année entière sans revoir l'Anjou

 Après le fiasco de l'aventure romanesque de la duchesse de Berry, le retour au pouvoir par la voie militaire ne sera plus et pour longtemps envisagée par les légitimistes de plus en plus acquis à la stratégie parlementaire. Pourtant et comme le souligne H. de Changy, «l'émigration intérieure», sortira renforcée de cet échec10. Dans un premier temps, la majorité des légitimistes restèrent sourds aux supplications de Berryer en faveur de la participation électorale. Peu à peu, cependant, le grand orateur semble s'être fait entendre. A l'exception des départements de l'Ouest, l'abstentionnisme légitimiste régressa rapidement.      

Voyages en Europe

  Alors que la monarchie de Juillet prenait racine, Falloux, sans doute pour ne pas avoir à offrir ses services au nouveau régime, résolut de faire du tourisme en Europe. Au printemps 1833, il voyagea en Belgique, en Hollande, en Allemagne et en Autriche.

Âgé alors de 22 ans, Falloux était plutôt bel homme. D'une taille élevée, il avait l'œil bleu et le cheveu blond, un nez bourbonien, un visage plutôt oblong et un front bien développé. Gentilhomme jusqu'au bout des ongles, il possédait une voie harmonieuse et douce que tempérait une physionomie quelque peu sévère. Voici l'impression qu'il a laissé à un journaliste qui le rencontra pour la première fois en 1832: «une appréciation fine, une érudition déjà plus que suffisante, beaucoup de discrétion et toujours de l'urbanité de haut ton, un langage facile, quelquefois pittoresque, sans prétention à l'élégance, souple, concis, mais laissant deviner beaucoup selon l'occasion, tout annonçait déjà dans M. de Falloux l'homme distingué. En y regardant de plus prés, il eut été facile de deviner l'homme d’État futur sous l'extérieur de l'homme du monde. Le ministre perçait; l'écrivain se faisait sentir, l'orateur préludait...»11.

  Parti de Paris le 7 mai 1833, Falloux débarqua à Bruxelles le surlendemain. Il fut séduit par l'Hôtel de ville et la cathédrale Saint-Grédule, mais déçu par le peu de majesté du palais du roi. L'apathie politique du peuple belge l'étonna: «C'est ce même peuple qui s'est cru assez éclairé pour briser son gouvernement et s'en choisir un autre selon ses lumières. Du reste son caprice n'a pas été de longue durée. Aujourd'hui il ne s'occupe qu'avec ennui de la politique. On n'a pu encore, depuis le congrès de 1830, faire concourir le tiers des électeurs au choix des députés, et aujourd'hui Léopold vit retiré dans son palais sans que personne le lui reproche et il rencontre dans ses rares sorties la plus respectueuse indifférence. Je dois croire aux détails exacts, car je le tiens d'un sénateur du nouveau régime, qui ne s'est fait aucun scrupule de m'avouer que la révolution s'était faite à la surprise générale par les fautes de Guillaume beaucoup plus que par une ferme volonté populaire»12. Après avoir visité les deux autres grandes villes du pays, Anvers et Liège, il se rendit en Allemagne, séjournant successivement à Aix-la-Chapelle, Cologne et Düsseldorf.  Les villes hollandaises qu'il parcourut peu après furent sans doute celles qui lui laissèrent le meilleur souvenir. Parlant de Rotterdam, il écrit dans son journal: «le plus beau c'est la ville même, son activité, sa propreté, ses canaux à pleine rue couverte de superbes vaisseaux et regorgeant des échantillons de tous les mondes. Ses promenades en dehors de la ville sont bordées d'une file de maisons de campagne et jardins plus élégants et plus soignés les uns que les autres»13. Le 23 mai, il quittait la Hollande par Amsterdam pour retourner en Allemagne, à Coblence, Mayence, Francfort, Leipzig puis Dresde. Le 2 juin, il entrait en Autriche: «Prague offre en arrivant de la Saxe un des panoramas les plus enchanteurs qu'on puisse s'imaginer.»  Cette visite dans la capitale de la Bohème s'expliquait avant tout par la présence de la famille royale exilée. Impatient de connaître les qualités du duc de Bordeaux, il se rendit sans tarder au palais de Hradschin où résidait toute la famille. Il fut invité à la messe du roi mais n'eut cependant guère le temps d'apprécier le jeune dauphin. Pour se soustraire aux manifestations de plus en plus pressantes en faveur de l'émancipation du futur Henri V qui approchait de sa quatorzième année, âge de la majorité royale, Charles X prit soudainement le parti d'emmener son petit-fils à Buschtichrad, «triste et pauvre résidence» distante de quelques kilomètres de Prague. Falloux n'aura l'honneur d'y être admis que pour prendre congé. Mais ces quelques heures passées au sein de la famille royale lui suffirent néanmoins pour se faire une idée de l'éducation du jeune prince sur lequel allaient se porter tous les espoirs d'une nouvelle restauration. Tout en admettant qu'elle était bonne,  il regrettait qu'elle n'ait pas «l'éclat d'un gouverneur illustre», «C'est un diamant qui n'est pas monté» ajoutait-il. Le gouverneur auquel il fait allusion dans ses Mémoires n'était autre que le baron de Damas qui venait de nommer un deuxième précepteur pour le prince. Barrande, qui était chargé jusque-là de toutes les matières, se voyait confier les seules matières scientifiques, le nouveau précepteur ayant la charge d'enseigner les lettres. Lorsque l'on sut que le choix du baron s'était porté sur un jésuite, le père Druilhet, une vive controverse se développa14. Pour ceux qui souhaitaient ne pas couper le futur roi de son époque, le choix d'un membre de la Compagnie de Jésus, rejetée par de larges secteurs de la société française, n'allait pas dans le bon sens. Charles X ne tarda pas à se rendre compte du mauvais effet de cette décision. Le père Druilhet qui était arrivé à Prague peu après le départ de Falloux, fut remercié quelques semaines plus tard. Pour ne pas laisser paraître avoir cédé aux pressions extérieures, et ne pas donner prise aux reproches d'anticléricalisme, le roi fit appel à un autre ecclésiastique, Mgr Frayssinous, pour assurer l'éducation du prince. Désapprouvé, le baron de Damas avait donné sa démission, suivie aussitôt de celle de Barrande.

  Après son séjour à Prague,  il était parti pour Vienne où il fut reçu par le comte de Montbel, ancien ministre de Charles X et ambassadeur intime de la royauté en exil. Montbel le présenta au prince de Metternich, le chancelier de l’Empire d'Autriche. Son passage dans la capitale autrichienne lui avait faire perdre une de ses illusions favorites: la conviction que les cours européennes étaient «chaleureusement légitimistes». Après ses entretiens avec Montbel et l'impression que lui avait laissé Metternich, Falloux prenait conscience d’une évidence; la realpolitik était en train de l'emporter. Quels que furent les sentiments de prévention de la maison d'Autriche à l'égard de la Monarchie de Juillet, l'empereur François Ier et son chancelier n'entendaient nullement compromettre, au profit des Bourbons exilés, les relations de l'Empire avec le gouvernement officiel de la France. En témoigne le refus de l'empereur d'intervenir, comme le lui demandera Charles X à deux reprises, auprès de Louis-Philippe pour obtenir la libération de la duchesse de Berry incarcérée à Blaye. C’est en définitive un heureux mais surprenant événement qui décida du sort de la duchesse. Le 10 mai, elle avait accouché d’une petite fille. Quelques semaines auparavant, la duchesse avait déclaré, sans réellement convaincre la famille royale, que l’enfant attendu était le fruit d’une union tenue jusque-là secrète avec le comte Lucchesi-Palli15. Trop heureux de se débarrasser d'une prisonnière aussi encombrante, Louis-Philippe avait donné l'ordre de la relâcher.       

  De Vienne, Falloux s'était rendu à Venise, au début du mois de septembre, pour y rencontrer Chateaubriand. Installée à Naples depuis sa libération, la duchesse de Berry avait demandé à l'écrivain de l'accompagner jusqu'à Prague où elle souhaitait, contre l'avis de Charles X, prendre en main les destinées du duc de Bordeaux. La duchesse n'ayant pas donné signe de vie, Falloux fut chargé par Chateaubriand de se rendre auprès d'elle et de l'avertir de l'impossibilité où il se trouvait de l'attendre indéfiniment. En route pour Florence, Falloux s'arrêta à Ferrare où on lui apprit que se trouvait la duchesse.

  Peu après, Falloux rejoignit son frère et sa mère à Florence. Il demeura quinze jours en Toscane, jusqu'au départ de sa mère pour la France, avant de poursuivre son périple. Accompagné de son frère, il partit pour Rome où il obtint une audience auprès du pape Grégoire XVI. Il eut également des contacts avec plusieurs membres de la colonie étrangère de la cité pontificale, en particulier le comte Xavier de Maistre qui lui laissa une très forte impression. Rome fut le terme de son premier voyage en Europe. A la fin du mois d'octobre, il quitta Rome pour l'Anjou en compagnie d'un ancien chef militaire de la Vendée, le maréchal de Bourmont, qui regagnait son château de Loiré, une commune distante de cinq à six lieues du Bourg d'Iré.

  Un an et demi plus tard, au début du printemps 1835, il s'éloigna une nouvelle fois de son Anjou natal pour voguer vers l'Angleterre. L'idée d'y débarquer en avril s'expliquait par des mœurs aristocratiques fort distincts des usages français, «en Angleterre l'hiver appartient aux châteaux, et la belle saison à Londres.» Le duc de Wellington, grand vainqueur de Waterloo, fut une des premières célébrités qu'il rencontra. Les quelques séances du Parlement britannique auxquelles il assiste le déçoivent. En revanche, les salons londoniens suscitèrent son admiration: «J'ai assisté à Londres à des réunions magnifiques; j'y ai vu la plus haute et la plus brillante aristocratie.» Il regrettait cependant cette froideur ambiante qui dépassait tout ce qu'il avait pu observer dans des relations analogues en France, en Allemagne et en Italie. Totalement séduit par le charme anglais, même s'il estime, dans ses Mémoires, que Londres éblouit plus qu'elle n'attache, il ne pouvait s'empêcher d'admirer le système monarchique anglais et les rapports entre la royauté et son peuple «C'est bien la demeure de la souveraineté, chez le peuple où la souveraineté est en même temps l'institution la plus respectée de tous et la plus respectueuse envers tous»16.

C'est au cours de cet unique séjour en Angleterre qu'il fit la rencontre du vicomte de Persigny. Venu, à titre de compatriote, lui rendre visite à son domicile londonien, ce fidèle serviteur de Louis-Napoléon, «chef d'escadron sans escadron», pria Falloux de lui prêter la somme d'argent nécessaire pour se rendre en Suisse auprès du prince qui le réclamait. Alors que Persigny ne cessait de vanter les mérites de Louis-Napoléon, Falloux l'interrompit: «Vous savez que je suis d'une province où la fidélité royaliste est inébranlable. Votre insistance toute flatteuse qu'elle soit demeurerait donc absolument inutilePersigny insista: «Vos yeux s'ouvriront. Le prince Napoléon régnera et vous ferez partie de son premier ministère17.» Fort incrédule, Falloux accueillit la prophétie avec un grand éclat de rire, consentant néanmoins à se montrer généreux. Persigny prit congé de son créancier en lui serrant la main avec une vive gratitude. Plus bonapartiste que son maître, Persigny n'en allait pas moins devenir, avec les années, un fidèle ami de Falloux.   

Notes

1La plus importante de tout le siècle, après celle de  1877-1879, selon S. Rials, Le légitimisme, Paris, P.U.F., Que-sais-je ?, p. 10
2Jean-Paul Bled, Les lys en exil, Paris, Fayard, 1992, p. 27.
3Ibid. p. 28.
4Hugues de Changy, Le soulèvement de la duchesse de Berry.  Les royalistes dans la tourmente, 1830-1832,  Paris, 1986, p. 172.   
5De Changy, Ibid.
6R. P. Lecanuet, Berryer. Sa vie et ses œuvres, Paris.  L'auteur indique également que Chateaubriand, après avoir décliné l'offre qui lui avait été faite de siéger aux côtés de Berryer dans le gouvernement provisoire formé par la duchesse lui aurait écrit: "La Vendée, c'est une espèce de camp au repos sous les armes. Admirable comme réserve de la légitimité, elle serait insuffisante comme avant-garde et ne prendrait jamais avec succès l'offensive. La civilisation a fait trop de progrès pour qu'il éclate une de ces guerres intestines à grands résultats, ressource et fléau des siècles à la fois plus chrétiens et moins éclairés...L'apathie est grande, l'égoïsme presque général; on se ratatine pour se soustraire au danger, garder ce qu'on a , vivoter en paix....", p. 124.  
7A.N. F1CIII/Maine-et-Loire. Lettre du préfet au Ministre de l'Intérieur, 29 juin 1832.  
8A.N. F1CIII/Maine-et-Loire. Lettre du sous-préfet au préfet, 18 juin 1832.
9Falloux, Mémoires d'un royaliste, p.
10H. de Changy, op. cit. p. 49
11Amoreux, Félix d', Les tribuns, Paris, 1850.
12Falloux, Journal inédit, Bibl. nat.
13Falloux, Ibid.
14Jean-Paul Bled, op. cit. p. 68 et ss.
15La famille royale et les légitimistes n'avaient pas tardé à apprendre par la presse française que la duchesse était enceinte. La nouvelle paraissait si scandaleuse que Charles X et son entourage n'y voyaient qu'une grossière machination du gouvernement de Louis-Philippe. Dans une confession que le Moniteur, journal officiel, s'empressa de reproduire, la duchesse avouait s'être marié en secret à la fin de 1831 avec le comte Lucchesi-Palli, père de l'enfant à naître. En réalité cette paternité était très improbable. Celle du jeune avocat Guibourg qui vécut à ses côtés dans son refuge nantais l'était beaucoup moins. Si Charles X n'était pas dupe, l'honneur de la famille lui imposait de feindre de croire à la version de sa belle-fille.  Voir Jean-Paul Bled sur cette question, op. cit., p. 59 et ss.
16Falloux, Mémoires d'un royaliste, t. 1., p. 110
17Falloux, Ibid., p. 113

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «La Monarchie de Juillet- Voyage en Europe», correspondance-falloux [En ligne], De Charles X à Louis-Philippe, BIOGRAPHIE d'ALFRED DE FALLOUX, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 09/05/2013