CECI n'est pas EXECUTE L'historien - Mgr Affre

Madame Swetchine et son salon |

L'historien - Mgr Affre

L'historien

En mai 1840, Falloux publia son premier ouvrage, une biographie de Louis XVI. Les traditions familiales justifiaient à elles seules ce choix, les Falloux ayant, comme on l'a vu, servi avec fidélité la monarchie. Pour ce livre, auquel il travaillait depuis 1838, il avait beaucoup lu et glané de nombreuses informations auprès de certains contemporains de la Révolution, en particulier le baron Mounier. La destinée tragique de Louis XVI avait déjà inspiré un très grand nombre de livres mais la plupart selon  lui  négligeaient la personne du prince. C'est donc ce qui lui semblait devoir être mis en relief: «Je ne prends donc des événements que la chair et l'esprit, avec les quelques hommes qui les résument. Je prends Louis XVI à travers Louis XIV, Louis XV, ses instituteurs, avec la Reine et Mme Elisabeth, je prends la Révolution avec le chancelier Maupéou, le Maréchal de Richelieu, Voltaire, Mirabeau et Lafayette. Voltaire débauche l'esprit, Mirabeau allume les passions, Lafayette arme la foule. Dieu prend le plus pur roi de sa race pour en faire le dernier, selon la loi chrétienne de l'expiation. Voilà toute l'histoire. Vous voyez combien il y a de chances pour que ce soit humblement sec, parce que c'est tout ou rien!...1

Après avoir fait lire son manuscrit à A. de Rességuier, puis à Mme Swetchine, il comptait le remettre à son éditeur Delloye. Mais, à la fin de l'été 1839, il avait du partir pour Rome. A son arrivée, la ville était en pleine agitation. La venue inopinée du duc de Bordeaux en était la cause. Falloux s’était rendu tour à tour chez son frère Frédéric et chez son ami François de la Bouillerie qui, depuis son premier séjour dans la ville sainte, en 1838, avait choisi de devenir prêtre2. Dans une lettre à Mme Swetchine, il avait rendu compte de la métamorphose de son ancien compagnon de voyage:  «Il est devenu aussi simple et aussi entier dans sa voie que nous l'avons connu complexe et distrait. Il est absolument retiré du monde...Il se propose de passer encore ici trois ans3

Durant son séjour dans la cité pontificale, il avait eu l'occasion, au cours d'une réception chez la comtesse Kaïssaroff de faire montre de ses talents de comédiens devant le duc de Bordeaux4. Le jeune prince n'ayant encore jamais vu une comédie française jouée par des acteurs français, Falloux avait accepté d'interprêter un rôle, aux côtés du neveu du duc de Lévis et du comte Karoly, dans deux pièces de Scribe, Vatel et Le Savant: «Notre comédie française a réussi au-delà de mon attente, écrira-t-il à Mme Swetchine, comme succès de société, et le pauvre Prince a témoigné de toute façon que ce plaisir avait été le plus vif de ceux qu'on lui avait offerts, parce que c'était le plus français. J'y ai gagné un mot de lui qui vous fera sans doute la même impression qu'à moi, parce que vous y trouverez autre chose que ce qui m'est personnel. Dans une des séances pour son buste, Mlle de Fauveau lui disait: «Comme M. de Falloux a bien joué! - Ce qui m'a frappé, a-t-il répondu, c'est qu'il a joué comme quelqu'un de si bon!» N'est-ce pas que cet éloge...ajoutait Falloux, en dehors de l'honneur qu'il fait à celui qui le reçoit, en fait beaucoup à celui qui la donne5

Lors de sa sortie, le livre rencontra la faveur des légitimistes mais également des orléanistes. Ce qui n'était pas pour déplaire à son auteur qui tout en faisant de Louis XVI une victime expiatrice, déplorait la disgrâce de Turgot et s'abstenait de toute apologie du pouvoir absolu. En définitive, c'est du sein de son entourage que viendront les plus vives critiques. Elles émanèrent notamment d'A. de Melun qui lui reprocha de n'avoir pas voulu «mettre la main aux affaires de la Révolution», d'avoir relégué tout le mouvement du siècle à l'arrière plan et d'avoir à peine entrevu les hommes et les choses contemporaines. En mettant Louis XVI au premier plan, il détournait l'attention du lecteur: «Plus sa personne occupe de place dans le récit, moins il m’intéresse» lui écrivit Melun pour qui Louis XVI était un personnage sans envergure ni force morale.

Melun s'inquiétait par ailleurs de le voir se laisser griser par le succès comme il le confia à Mme Swetchine: «Le succès de Louis XVI est de nature à encourager un nouveau travail, peut-être Alfred met-il déjà la main à un second ouvrage, et en pareil cas j'ai toujours peur qu'un premier succès ne prépare une plus lourde chute, et je m'en voudrais d'avoir été complice de l'indulgence générale. Car, vous le savez, un second livre est chose grave, c'est le passage de l'homme de loisir à l'écrivain. ...J'espère chère amie, que vous ne me blâmerez pas trop de cette façon d'agir; vous savez que, sur cette question, nous ne sommes pas tout à fait d'accord; votre bonté extrême a peur de chagriner pour si peu de chose, et veut épargner la moindre blessure; et cependant ne devons nous pas à ceux qui nous demandent d'être sincères la plus parfaite franchise6 »    

Monseigneur Affre

Le 31 décembre 1839, Mgr de Quélen, archevêque de Paris, rendait l'âme. La succession de ce prélat dont les opinions légitimistes étaient bien connues inquiétaient Falloux et tout le Paris carliste du faubourg Saint-Germain. L'affaire de l'archevêché de Paris allait défrayer la chronique pendant plus de trois mois7. Les partis politiques se mobilisèrent pour soutenir leur candidat. Les légitimistes, l'abbé Dupanloup en tête, firent campagne pour Mgr Meignan, archevêque de Besançon. Mais Thiers, alors président du conseil, craignait que cette nomination ne soit source de trop vives dissensions entre le roi et l'archevêché8. En définitive, ce fut la candidature de D. A. Affre, vicaire capitulaire, coadjuteur de Strasbourg, qui fut retenue. Peu brillant, dénué de toute prestance, gauche et timide, l'abbé différait en tous points de son prédécesseur.

Sa cause était plaidée avec ardeur par Lacordaire, Dom Guéranger et surtout Montalembert. Que ses meilleurs défenseurs soient d'anciens mennaisiens ne manquait pas de surprendre, Affre ayant alors la réputation d'être très gallican et adversaire déclaré du mouvement mennaisien9. Après Lacordaire, qui lui devait, en grande partie, d'avoir obtenu, en 1835, la chaire de Notre-Dame10,  l'abbé de Solesmes avait été lui aussi séduit par Affre. Celui-ci lui avait confié au cours d'une entrevue, à la fin du mois de mars, qu'il était bien revenu des préventions qu'il avait toujours eu contre Lamennais et son école. Guéranger s’était empressé de rapporter la confidence à Montalembert qui s'était exclamé «Ah! vous voilà vous aussi séduit par l'abbé Affreux» (nom que lui avait décerné le faubourg Saint-Germain)11. Quelques jours plus tard, sur les injonctions de Guéranger, Montalembert consentit à le rencontrer. Conquis à son tour, il allait aussitôt devenir le chef des «Affreux» et faire triompher son candidat. Le 26 mai 1840, après cinq mois de vacance du siège épiscopal, Affre était officiellement nommé archevêque de la capitale.

Peu de temps après avoir assuré la victoire de celui chez qui il appréciait par-dessus tout la grande largeur d'esprit, Montalembert parut néanmoins éprouver quelques remords; et si le nouvel archevêque n'assurait pas la protection des ordres religieux se demandait-il?12.

Falloux était, de tous les intimes du salon de Mme Swetchine, le seul qui fut résolument hostile au nouvel archevêque. Au cours de son premier discours, Mgr Affre avait clairement laissé entendre qu'il se tiendrait à l'écart des luttes politiques et que son unique souci serait de «défendre les droits du spirituel contre les empiétements du pouvoir temporel.13« En rupture avec l'attitude de Mgr Quélen, cette profession de foi neutraliste, heurta brutalement Falloux: «Malgré ma soumission de conscience pour L'Univers, j'ai été très mécontent du discours  de Mgr Affre et je ne puis m'en taire. D'abord l'omission de toute allusion à la mémoire de M. l'Archevêque...En second lieu, ces mots: «La France vous doit le calme dont elle jouit depuis dix ans.» Tout autre qui dirait: la France vous doit le trouble dont elle souffre depuis dix ans, aurait émis une thèse historiquement beaucoup plus soutenable. Est-ce à Mgr Affre à trancher le différend entre les deux conjonctions célèbres? Est-il en position d'affirmer que si M. le duc d'Orléans, il y a dix ans, n'avait pas prêté à l'insurrection l'immense appui de sa royale position, s'il n'eut pas consolidé la Révolution en la régularisant, nous n'eussions pas eu le Ier août 1830, le ministère Périer avec la légitimité, c'est-à-dire., ce développement de liberté qui n'a jamais été dépassé depuis, moins l'anéantissement de la Pologne, l'occupation d'Ancône, et peut-être aujourd'hui la Belgique française. Dans un moment où l'on a pour thèse que chaque matin le clergé doit demeurer étranger à la politique, où Mgr Affre va-t-il chercher un à-propos pour résoudre en compliments la plus sérieuse difficulté qui partage les esprits contemporains? Troisième grief: «votre constante sollicitude pour les catholiques». Que deviennent donc, dit Falloux, à partir du 2 mai, toutes les réclamations du clergé contre les mariages protestants, contre l'éloignement de toute démonstration catholique quelconque du chef de l’État.....En condamnant ainsi ouvertement la mémoire de l'Archevêque,(....), on jette brusquement dans les consciences sincèrement religieuses des germes de méfiance et d'aigreur qui tournent directement contre le but de conciliation qu'on veut atteindre14La violence de cette réaction montre à quel point  il restait encore attaché au courant traditionnel du légitimisme. De Vichy, où elle était en cure, Mme Swetchine à qui cette lettre était adressée, lui répondit assez froidement: « Je ne puis admettre qu'on sache mauvais gré à Mgr Affre de ne point marcher dans les voies de Mr l'Archevêque....Je vous avoue que je n'ai jamais compris qu'un homme pût être lié par les antécédents d'un autre, à peine par les siens à lui-même15Exprimé avec une telle fermeté, le sentiment de Mme Swetchine, qui plus est très liée au défunt, n'a pu laisser Falloux indifférent et comptera sans doute dans son évolution.

Notes

1Falloux à Rességuier, automne 1838, cité par R. Rancoeur, op. cit.
2Le dimanche 16 juin 1839,F. de la Bouillerie avait reçu la tonsure des mains de M. de Bonald, évêque du Puy. Il sera ordonné prêtre le 10 avril 1841. Le 6 février 1855, il sera nommé évêque de Carcassonne.
3Ricard, Antoine, Vie de Mgr. François de La Bouillerie, évêque de Carcassonne, Paris, 1888
4De Luz, Pierre, Henri V, p. 79
5Falloux à Mme Swetchine, 6 janvier 1840, "Je vous apporterai un Louis XVI tout refait",  cité par R. Rancoeur, op. cit.
6Lettre à Mme Swetchine, 19 septembre 1840, Le Camus, Correspondance de A. de Melun avec Mme Swetchine.
7P. Delatte, op. cit, p. 271
8R. Limouzin-Lamothe et J. Leflon,  Mgr D-A.  Affre, arch. de Paris (1793-1848). Paris, Lib. J. Vrin, 1971, p. 47.
9P.  Delatte, op. cit. p. 270
10En 1835, Affre avait insisté auprès de Mgr. de Quélen pour que la chaire de Notre-Dame soit offerte à l'ancien disciple de Lamennais.
11Ibid.
12Lettre à Dom Guéranger, P. Delatte, op. cit. Cette appréhension était aussi celle de Lacordaire si l'on en juge par une de ses lettres à Mme Swetchine:"....il (Affre) n'aime point les ordres religieux hors de la soumission absolue à l’évêque, et peut-être un jour aurais-je plus à ma plaindre de lui que de M. de Quélen.  Lettre du 8 juillet 1840, Falloux, Correspondance du P.  Lacordaire et de Mme Swetchine, Paris, 1864, 562 p.
13Limouzin et Leflon, op. cit. p. 47
14Rouet de Journel, Madame Swetchine et le comte de Falloux, Etudes, oct. 1957 p. 53-71.
15Ibid.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «L'historien - Mgr Affre», correspondance-falloux [En ligne], BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE d'ALFRED DE FALLOUX, Madame Swetchine et son salon,mis à jour le : 09/05/2013