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Madame Swetchine et son salon |

Mariage - Falloux candidat

Mariage

Au cours de l'été 1840, Falloux, qui approchait de la trentaine, songeait avec sérieux au mariage. A deux reprises déjà, ses tentatives avaient tourné court. La première remontait à 1836, avec Claire de La Bourdonnaye de Blossac, fille d'Arthur de La Bourdonnaye, maréchal de camp. Mme Swetchine, qu'il avait informé de ses intentions, l'avait mis en garde contre une certaine raideur1. Mais il semble toutefois que les parents du prétendant furent les principaux responsables de ce premier échec2. Ses projets avec sa cousine Marie de Bombelles, qu'il avait rencontré durant son séjour à Parme dans l'hiver 1839, n’avaient pu aboutir; le 15 mai 1840, le père de Marie faisait savoir à la mère de Falloux qu'il préférait renoncer à ce mariage3.

La troisième opportunité, avec Marie de Caradeuc de La Chalotais, devait être la bonne. Son père, le marquis de Caradeuc était le petit-fils du célèbre procureur général du Parlement de Rennes4. Les deux familles se connaissaient depuis plusieurs années5. Résidant en Bretagne, les Caradeuc partageaient l'année entre leur hôtel particulier de Rennes et leur château de Bécherel situé à près de trente kilomètres de la ville, à la limite de l'Ille-et-Vilaine et des Côtes d'Armor. Dans une lettre écrite au cours de l'été 1840 à Mme Swetchine, il dressait le portrait de sa jeune promise: «...Je vous présente une jeune personne qui aura dix-neuf ans au mois de novembre, dont l'éducation s'est faite en Bretagne pour la simplicité et à Paris pour les talents, dont les manières se sont formées à une distinction naturelle avec une mère fort distinguée et une famille qui l'est aussi. Elle a des yeux remarquablement agréables, des cheveux très noirs, le reste du visage comme sur un passeport, la taille mince et assez grande6Comme il avait eu le plaisir de le constater au cours de ses deux derniers passages au château de Bécherel, l'instruction de Marie était fort honorable : «on m'a laissé la familiarité la plus naturelle avec Mlle de Caradeuc et si nos rapports n'ont pu être approfondis, ils ont été du moins parfaitement directs. J'y ai rencontré un véritable esprit de jeune fille, une instruction plus qu'ordinaire et, ce qui est plus une garantie à mes yeux, un véritable goût de l'instruction et de l'occupation...7

Fille unique8, Marie de Caradeuc n'avait jamais quitté sa mère qui, était, aux yeux de Falloux, «la personne la plus exempte de prétentions» qu'il eut connu. Mme de Caradeuc avait tout donné à sa fille, «éducation, instruction, habitude», et l'avait «maintenue dans la simplicité la plus sincère».  Ecrivant à son ami A. de Rességuier, il résumait ainsi l'univers de sa future: «Dieu et sa mère, voilà le cercle assez immense, n'est-ce pas, dans lequel ses dix-neuf ans ont uniquement tourné jusqu'ici sans le moindre souci de ce qui fourmille au-dehors9

La fortune des Caradeuc, une des plus importantes de Bretagne, était sans commune mesure avec celle des Falloux : « J'ai 6.000 livres de rentes en métairies retardataires: elle a 200.000 fr. de dote et la moitié des douaires qui viendront à s'éteindre; par la suite entre 40 et 50.000 livres de rente, par conséquent une fortune pour l'avenir à ne savoir qu'en faire, si elle n'avait déjà à un degré éminent la vocation de la bienfaisance.10 » On pouvait craindre que cette différence ne devienne un obstacle. Il n'en fut rien, les Caradeuc mirent en effet très rapidement de côté toute question d'argent avouant à Falloux qu'ils le prendraient «sans aucune condition à cet égard11

Si les raisons matérielles ne dictèrent en aucun cas son désir d'épouser la fille des Caradeuc, il ne semble pas que ce désir ait été commandé par la passion12. On peut parler tout au plus de grande affection, sentiment que viendra renforcer un atmosphère familial paisible et compréhensif. A défaut d'être passionnée, cette union s'annonçait sereine : Je ne sais maintenant si j'ai besoin de vous expliquer comment j'ai trouvé là précisément ce qui me manquait pour le voyage de Parme (Falloux fait ici allusion à son projet de mariage avec Mlle de La Bourdonnaye), c'est-à-dire un entraînement né de la facilité de toutes les circonstances et du bon accord de tout le monde sans sacrifice aucun. Au lieu d'un attrait tout puissant qui devait tout remplacer, si rare par cela même et d'une si effrayante responsabilité, je n'ai à chercher ici que le sentiment qui naît de la sympathie, qui grandit, qui se fortifie dans la satisfaction de tous les jours, qui s'établit sans effort sur le sol même où il est né. Ce sont tous les avantages du mariage de L (La Bourdonnaye) avec moins d'affections premières, il est vrai, mais beaucoup plus unes, moins de complications dans les exigences et par conséquent bien moins de chances de mécomptes, puis du trouble qui en provient13

Falloux se montrait pressé de conclure ce mariage. Les questions d'argent ayant été laissé de côté, il ne comprenait pas les raisons pour lesquelles les parents de Marie avaient repoussé la date du mariage au mois de novembre 1841. Dans sa lettre à Mme Swetchine, il fait état de l'impatience qu'il a manifesté auprès de ses beaux-parents: «J'ai répondu sans détours qu'un pareil délai équivalait pour moi à une impossibilité absolue; que ne faisant pas plus que de cette alliance une question d'intérêt, je ne pouvais consentir à rester étranger ou indifférent à la personne qui deviendrait ma femme; que si alors on me permettait de m'en rapprocher à mon gré, nous nous donnerions en spectacle pendant quinze mois et dans une situation délicate sous mille rapports. Ces raisons m'avaient déjà obtenu la suppression de six mois d'attente et l'on se rabattait au printemps prochain; cela me paraissait encore une privation inutile, et comme on faisait uniquement valoir des motifs de santé, j'ai demandé qu'on admit ma mère à cette discussion, et tout est ajourné à trois semaines pour laisser faire à Mme de C. un indispensable voyage de famille, et à ma mère un traitement contre ses rhumatismes commencé à Angers depuis quelques semaines. Je n'attends plus qu'une dernière lettre de Caradeuc qui me fixe clairement les dates, pour avoir l'entière liberté d'aller passer quinze jours à vous soumettre tout ce qui s'agite dans mon âme à cette perspective si peu prévue14

Mme Swetchine lui enjoignit de faire preuve de patience et de se montrer plus souple à l'égard du calendrier qui lui était proposé. Mais Madame de Caradeuc consentit finalement à ce que l'union soit avancée au printemps 1841. Fixée dans un premier temps au 26, puis au 27 avril15, la date du mariage fut définitivement remise au 24 mai. Pour célébrer l’événement et bénir les époux, son frère Frédéric fit le voyage de Rome. Il approuvait totalement le choix de son frère comme il l’écrira quelques jours plus tard, « Elle est pleine de vertus et de dons naturels, sa mère qui est un vrai modèle a donné à sa fille unique une éducation sur laquelle je fonde de grandes espérances pour leur vie en ce monde et mieux encore pour leur salut éternel. Je suis aussi, il faut que je vous le dise, bien consolé des dispositions d'Alfred. Il prend le mariage du côté tout à fait grave et chrétien dans toute l'extension du terme16»

La cérémonie fut célébrée dans la petite chapelle des sœurs de Saint-Vincent de Paul, voisine de l'hôtel Caradeuc. Peu après, trois voitures de poste emmenèrent les mariés et toute la famille de Falloux au Bourg d'Iré. M et Mme de Caradeuc devaient les y rejoindre deux jours plus tard. De cette union naîtra un an plus tard, Loyde, une petite fille à la santé fragile qui se révélera très vite être atteinte de nanisme.

Falloux candidat

Après le succès obtenu par son ouvrage sur Louis XVI, Falloux, devenu éligible, il a alors 30 ans, fut vivement encouragé par ses amis à se présenter aux élections du 9 juillet 1842, dans la circonscription de Segré. Deux autres candidats étaient sur les rangs: Jouneaulx, député sortant, représentant de la gauche et M. de Marcombe17. Celui-ci, ancien député, était un cousin de Falloux. Conservateur, il disposait de l’appui du gouvernement.

Falloux ne se faisait guère d'illusions sur ses chances de sortir victorieux de cette lutte triangulaire. D'autant que le parti qu'il représentait était traversé, depuis l'échec de 1832, par divers courants plus ou moins antagoniques. En simplifiant, on pouvait alors distinguer les «ardents», rebelles au combat d’opinion et privilégiant la lutte armée (Blacas), des partisans de l'action légale. Ceux-ci n'avaient pas tardé eux-mêmes à se diviser en trois tendances: les libéraux parlementaires (Berryer), les conservateurs parlementaires favorables à une entente avec les «constitutionnels» conservateurs (Noailles); enfin les royalistes «populaires»  (Genoude)18. La mort de Charles X, le 6 novembre 1836, à Goritz (Autriche) n'avait pas permis de trancher la question des abdications. Le duc d'Angoulême, son fils, avait par ailleurs adopté une position ambiguë : acceptant de devenir roi pour l'exil, sous le nom de Louis XIX, il s'était engagé à renoncer au trône au profit de son neveu, en cas de restauration19. Cette situation avait relancé le débat entre les adeptes de la lutte armée (duc des Cars) et le parti parlementaire groupé autour de Chateaubriand et Berryer20. Saint-Priest et Pastoret se tenaient entre les deux groupes, essayant de «rendre la fraction militaire plus raisonnable et d'empêcher la fraction parlementaire de se laisser entraîner à des engagements trop libéraux 21.» Malgré une attirance plus grande pour la voie parlementaire, Falloux semble avoir louvoyé: «Quant à moi, j'appartins d'abord à ces deux nuances, bien qu'avec beaucoup plus de confiance dans celle de M. Berryer. Ma qualité d'enfant de l'Ouest me valait un affectueux accueil chez le duc des Cars...En attendant ma place était dans le petit bataillon de M. de Saint-Priest, qui était un ducs des Cars sociable, causeur et diplomate, moins parlementaire qu'il ne voulait le faire croire, et qu'il ne le croyait lui-même, mais sincèrement fidèle à tout effort de nature à conjurer ou calmer les animosités entre hommes dévoués à la même cause22.»  

Reconnu peu à peu comme le véritable prétendant au trône de France, aux yeux de la plupart des légitimistes, le duc de Bordeaux tardait à trancher entre les différentes lignes politiques. En avril 1841, afin de redonner une certaine unité au parti légitimiste, il avait chargé Villèle de se rendre à Paris et d’y mettre sur pied un comité directeur. Léo de Laborde avait été désigné pour convoquer les électeurs bénévoles qui devaient élire ce comité. Berryer fut nommé à l'unanimité, puis La Rochejacquelein soutenu par Genoude et son journal, «puis, dit Falloux, le marquis de Talaru, ami de Chateaubriand, puis quelques royalistes plus jeunes tels que le prince de Chalais, à côté de qui l'on me fit l'honneur de me placer.23.» Les tenants de l'action militaire se voyaient ainsi écarter. L'activité du comité fut néanmoins très vite paralysé: «Nos pouvoirs n'étaient pas assez définis, explique Falloux, notre origine n'était pas assez régulière, notre base assez large pour que nous eussions une grande confiance en nous mêmes et une grande autorité  sur les départements. Nous étions un expédient plutôt qu'une organisation sérieuse...après de sincères efforts de conciliation, (...), nous nous éclipsâmes sans bruit.24

En réalité, le comité ne put survivre aux tensions de plus en plus vives entre Berryer et la Gazette de France. Le journal de Genoude et de La Rochejacquelein réclamait la convocation d'une assemblée nationale constituante et surtout, la mise en place du mandat impératif. Berryer et les parlementaires refusaient cette exigence perçue comme une marque de défiance à leur égard. Berryer jugeait que le député devait rester libre de s'inspirer des circonstances pour la défense de ses électeurs. L'adoption du mandat impératif équivaudrait selon lui à placer l'élu en situation de servitude indigne. Faisant valoir qu'elles défendaient les idées de Villèle qui avait, au nom du roi, créé le comité, la Gazette de France  et la Gazette du Languedoc refusèrent de reconnaître le comité.  

Dans une lettre écrite deux mois avant le scrutin, le duc de Valmy s'était félicité de ce que les Angevins, avec la candidature de Falloux, contribuent à l'intervention des légitimistes dans les luttes électorales. Le duc précisait «De Villèle n'accepte pas la ligne de la Gazette de France sous toutes ses variations, mais ce qu'il entend comme elle, comme nous, c'est la nécessité de lutter contre le désordre moral et matériel avec les seules armes que la légalité nous a laissés, c'est-à-dire avec le secours de la presse comme avec celui de l'action électorale25

Quoi qu'il en soit, dans sa profession de foi, il énonçait clairement aux électeurs les modèles qu'il entendait suivre: Brézé26, Berryer, Valmy et Villeneuve. Or, chacun de ces chefs légitimistes, à sa manière, considérait que l'action légale était la seule possible. «Brézé, écrit-il à Rességuier, c'est la fidélité la plus pure aux principes que nous professons en commun. Berryer, la plus magnifique expression du sentiment national. Valmy, la liberté d'enseignement, cette vraie charte des familles, le seul remède qui puisse préserver les générations futures des malheurs et des crimes de la génération passée. Villeneuve, le plus éclairé et le plus consciencieux  des représentants de l'administration de la Restauration, l'homme qui le premier a porté à la tribune les mots de religion, de moralisation, à propos de la classe ouvrière dont il a fait l'objet des plus consciencieuses études27

Falloux s'était donc abstenu de revendiquer le patronage de Villèle lui reprochant de soutenir Genoude: «S'il avait voulu écrire et signer dans la Gazette quatre lignes caractéristiques j'aurais eu en plus les quatre ou cinq voix que j'avais eu en moins28.» Devant ses électeurs, il ne manquera pas de critiquer l'abstention volontaire de certains de ses amis, mettant en cause l'émigration à l'intérieur. Reprenant l'argumentation de Berryer, il affirmait la nécessité de combattre avec les armes légales.  

Au vu des premiers résultats de la capitale, le gouvernement, qui escomptait un succès important, dût déchanter. Sur les douze députés parisiens, dix appartenaient à l'opposition dont deux républicains.  La province confirmait l'affaissement des voix obtenues par les candidats du gouvernement. La majorité lui restait acquise, mais elle était plus composite, et donc plus précaire. Comme le faisait remarquer un contemporain, il fallait s’attendre à ce que, dans cette nouvelle chambre, «les passions soient plus animées, la session plus orageuse et le gouvernement moins fort29  

En Anjou, le candidat gouvernemental M. de Marcombe avait été éliminé au deuxième tour, Jounaulx l'emportant au troisième tour par 149 voix contre 100 à Falloux. Cette défaite n'était pas, loin s'en faut, ressentie comme une déconvenue. Il éprouvait en effet une certaine satisfaction à avoir en partie contribué à la déroute du parti ministériel: «Nous voilà battus mais fort content cher et grand général. Notre bataille a duré avec acharnement jusqu'au troisième jour malheureusement au lieu d'être ballotté avec le ministériel comme tout le monde ici l'avait prévu, nous l'avons été avec la gauche; la sous-préfecture se voyant alors obligé d'opter s'est jeté sur la gauche en donnant pour mot d'ordre: n'importe qui plutôt que M. de Falloux (jugez donc si une défaite qui a pour principe un pareil hommage a pu me décourager. Ce qui m'a touché plus encore c'est la chaleur passionnée (souligné par Falloux) qu'ont à l'envi déployé mes amis et l'unanimité qui a régné dans toutes nos démarches. Voici le résultat. Le parti ministériel tombé sans aucune chance de se relever, le partage de ses dépouilles à disputer entre la gauche et nous et pour cela un parti royaliste, résolu, organisé (souligné par Falloux) et ne comptant plus qu'un dissident sut toute sa liste30.»  

Nullement accablé par son échec - le comité royaliste qu'il mit aussitôt sur pied pour préparer les élections au conseil général en témoigne - il semble avoir dés ce moment pris conscience des risques d'impuissance politique que représentaient les divisions du parti royaliste. Il écrivit à son ami A. de Rességuier: «Plus je vais, plus je suis convaincu que notre politique humaine est morte, et plus je m'attache aux progrès de l'œuvre religieuse; il n'est pas indifférent d'être enterré sainte ou en terre impie31.» Quelques semaines plus tard, alors que les descendants de Charles X se montraient toujours aussi passifs, il confirmera à son ami son intention de privilégier le combat religieux: « Je ne suis pas à vous dire pour la première fois que Goritz renonçant à faire ou à garder des royalistes, ce que les royalistes ont de mieux à faire, c’est de faire des chrétiens tant qu’ils pourront, pour le salut de leurs âmes et pour celui de la France32... »

  En dépit de l'échec de quelques-uns de ses candidats, le parti légitimiste pouvait s'estimer satisfait. Il remportait 28 sièges. Ces résultats, qui confortaient la position de Berryer, et, la mort accidentelle, le 13 juillet, du duc d'Orléans, l'héritier du trône, vont faire taire, un moment, les dissensions au sein du parti. Les démissionnaires furent réintégrés au sein du comité légitimiste où par ailleurs de nouvelles personnalités faisaient leur entrée33. Mais la trêve fut de courte durée. En 1843, Genoude lança un quotidien avec l'appui de plusieurs personnalités de gauche, La Nation, qui allait plaider pour la réforme électorale.

L'entrée en politique du duc de Bordeaux à la fin de 1843 allait-elle permettre de mettre fin à ces divisions ? Le petit-fils de Charles X était alors âgé de 23 ans. De taille modeste, il tendait déjà à l'obésité et claudiquait légèrement malgré tous ses efforts pour dissimuler cet handicap34. Bon vivant, il était également très pieux. D'une intelligence moyenne, le prétendant était un esprit cultivé et mature et d'une tenue distinguée qui forçait le respect.

 Installé du 28 novembre 1843 au 12 janvier 1844 à Londres, dans un hôtel de Belgrave Square, le duc de Bordeaux, qui avait pris, à cette occasion, le nom de Comte de Chambord, reçut la visite de près d'un millier de fidèles35. Outre Chateaubriand et de nombreuses personnalités du parti, deux pairs de France (le duc de Richelieu et le marquis de Vérac) et cinq députés (Berryer, Valmy, Larcy, La Rochejacquelein et Blin de Bourdon) franchirent le détroit pour rendre hommage à leur roi. Mais plusieurs légitimistes, et en particulier parmi ceux qui approuvaient la ligne de Berryer, firent part de leur réticence à se rendre à Belgrave Square. Ainsi Benoist D'Azy, qui craignait qu'on ne voit là qu'un acte d'inféodation personnelle: «Il serait impossible qu'on ne dit pas qu'au lieu de consulter sur les intérêts de la France que notre conscience de Français, nous allons prendre le mot d'ordre de celui à qui nous reconnaissons un droit supérieur au droit de la patrie, prêts à sacrifier celui-ci à nos préoccupations politiques36.» Avant même que Berryer ne se rende en Angleterre, Benoist d'Azy l'avait mis en garde. Son voyage risquait de faire paraître le comité légitimiste comme une agence obéissant à une direction du dehors, à laquelle il serait aveuglément soumis. Ce sentiment était également partagé par le duc de Noailles.

Falloux, qui ne fit pas le voyage de Londres, ne dit rien de cet épisode dans ses Mémoires. Sans que l'on puisse réellement connaître les raisons de cette omission, on peut se demander s'il n'était pas lui aussi en désaccord avec Berryer. Plutôt que d'avoir à faire état d'un différend somme toute secondaire, il aurait préféré ignorer l'événement. C'est possible, mais rien ne permet de le vérifier.

Quoi qu'il en soit, le comte de Chambord, qui avait pris la ferme résolution de prendre en main les destinées du parti royaliste hésitait encore à lui donner une orientation politique précise. L'accueil glacial qu'il avait réservé au marquis de la Rochejacquelein semblait indiquer que l'appel au peuple n'avait guère sa faveur. Mais malgré les nombreux entretiens accordés à Berryer, le prétendant refusa de s'engager dans la seule action parlementaire.

 La reine Victoria37 qui venait, par sa visite en France au cours de l'été, de rompre l'isolement dans lequel les monarques d'Europe maintenaient Louis-Philippe fut passablement irrité par la démonstration de Belgrave Square.

Quant à Louis-Philippe, il ne dissimulait guère son amertume. Pour l’apaiser, Guizot et ses ministres décidèrent d'insérer dans l'Adresse une «flétrissure» contre les députés qui, ayant prêté serment à Louis-Philippe, étaient allés faire acte d'obédience à un monarque de droit divin. Excessive et surtout maladroite, l’initiative fut modérément appréciée des parlementaires38, plusieurs orléanistes refusant même de s'y associer. La dissidence la plus remarquée fut celle de Salvandy: ancien ministre de Louis-Philippe, il donna peu après sa démission de son poste d'ambassadeur à Turin. L'adresse fut votée de justesse. Les cinq députés «flétris» démissionnèrent mais furent tous réélus peu de temps après, avec, pour certains, la complicité de la gauche. Le pouvoir ne sortait guère renforcé de l'épreuve. Quant aux légitimistes, certains espéraient, sans trop y croire, que la réunification des courants contraires autour du comte de Chambord était enfin acquise.

Notes

1"...Méfiez-vous, dans les circonstances présentes, de cette raideur qui vous a servi souvent, mais qui ici pourrait vous nuire...avec l'aide de Dieu, rompez ces habitudes d'inflexibilité qui ont toujours pour appui des raisonnements spécieux", lettre du 2 mai 1838, Rouet de Jouvenel, Etudes, op. cit.
2R. Rancoeur, Falloux de 1835 à 1848, Colloque.
3R. Rancoeur, Ibid.
4Proche des milieux jansénistes, il était entré en conflit en 1763 avec le duc d'Aiguillon, commandant de la province, dévot et pro-jésuite. Convoqué en 1765, le Parlement avait été contraint de démissionner. La Chalotais fut restitué dans ses fonctions de procureur du parlement de Bretagne en 1775 par Louis XVI.
5Dans une lettre du 3 juin 1832 à Brifaut, Falloux mentionne les Caradeuc,"un ménage breton de notre connaissance", cité par R. Rancoeur, op. cit.
6Lettre du 22 juillet 1840, citée par Rouet, Etudes
7Lettre à Mme Swetchine, 22 juillet 1848, citée par Rouet, Etudes, op. cit.
8René, son jeune frère, était mort en 1834, à l'âge de dix ans.
9Lettre du 20 novembre 1840, citée par R. Rancoeur, op. cit.
10Lettre à A. de Rességuier, citée par R. Rancoeur, op. Cit.
11Lettre à Mme Swetchine, 22 juillet 1848, citée par Rouet, Etudes, op. cit.
12Si l'on en juge par une lettre de Persigny, Falloux semble même avoir eu quelques hésitations, ou tout du moins craint de ne pas faire le bon choix: "Vous mon noble et sage ami, lui écrit Persigny, votre esprit est trop clairvoyant pour se tromper", Persigny à Falloux, 31 octobre 1840.
13Lettre à Mme Swetchine, 22 juillet 1840, citée par Rouet, Etudes op. cit.
14Ibid.
15Falloux écrit le 13 avril 1841 à Mme Swetchine:"Le 26 est changé en 27, chère Mme, parce que la St-Marc oblige au maigre le lundi...Rien ne peut se comparer à la bonne grâce avec laquelle Mme de Caradeuc m'introduit elle-même dans la confiance et les affections de sa fille, ni au bonheur avec lequel je reconnais après chaque entretien une vertu ou un charme de plus dans ces 2 âmes dont il devient si difficile de se rendre digne. Depuis que le voyage de mon frère est positif (...) Marie a été prise d'une grande envie de savoir un peu d'italien. Je vais lui donner une leçon tous les matins, en dehors de nos réunions habituelles de la journée et du soir.  
16*AP 156(I)/11. Fréd. I/6/41 Segré, Lettre du Ier juin 1846 à la comtesse de Saint-Alphonse. Arch. Nationales AP 156 (I)/11 Mackau.
17G.-F. de Marcombe (1795-1866), député du Maine-et-Loire de 1831 à 1834 et de 1837 à 1839.
18Sur ces divisions voir S. Rials, Le légitimisme, Que-sais-je ?, p. 18. L'auteur distingue deux sous-tendances parmi les partisans de l'action extra-légale: une tendance absolutiste modérée (Blacas) et une tendance traditionaliste agraire, dominante dans l'ouest, volontiers abstentionniste.
19S. Rials, op. cit, p. 16
20C'est semble-t-il au lendemain de l'échec du soulèvement de 1832 que Berryer était devenu exclusivement partisan de l'action parlementaire. En 1836, il avait écrit à Hyde de Neuville: "Le temps des guerres civiles est passé en France; la discussion est le seul champs clos des prétendants", Hyde de Neuville, Mémoires, Paris, 1892, vol 3, p. 530.
21Falloux, Mémoires d'un royaliste, t. I p. 221
22Ibid. p. 222-223
23Falloux, Mémoires d'un royaliste, T. II, p. 224. Ch. Lacombe parle également de ce comité mais ne mentionne pas les mêmes noms que Falloux ni d'ailleurs la présence de celui-ci.
24Ibid.
25Valmy à Falloux, 13 mai 1842.
26Scipion de Dreux, marquis de Dreux-Brézé, Grand maître des cérémonies à la Cour de France à la fin de la Restauration et pair de France, avait refusé de démissionner de la pairie après la révolution de Juillet affirmant qu'il avait contracté un engagement sacré: "celui de respecter les lois et de n'attendre que des majorités le triomphe des convictions politiques qui, selon moi, doivent assurer le bonheur de mon pays", Documents historiques ou Discours de M. le marquis de Dreux-Brézé, présenté par M. A. Delaforest, Paris, 1842, T. I, p. 325-326, cité par R. Rancoeur, op. cit.
27Falloux à Rességuier, 17 juillet 1842, cité par R. Rancoeur, op. cit.
28Falloux à Rességuier, juin 1842, cité par R. Rancoeur, op. cit.
29Prosper de Barante, Souvenirs, 8 vol., cité par V. Thureau-Dangin, Histoire de la monarchie de Juillet, t. 5, p. 77-78
30Falloux à Berryer, lettre de juillet 1842, Bib. nat.
31Falloux à Rességuier, 29 octobre 1842, cité par R. Rancoeur, Falloux de 1835 à 1848, op. cit.
32Falloux à Rességuier, 8 janvier 1843, cité par R. Rancoeur, op. cit.
33S. Rials, op. cit., p. 19.
34Lettre de Cuvillier-Fleury au duc d'Aumale, 6 décembre 1843, Correspondance du duc D'Aumale et de Cuvillier-Fleury, T. 1.
35Le petit-fils de Charles X avait choisi son nouveau nom en hommage aux légitimistes qui, à sa naissance lui avaient offert le château de Chambord. Le nombre des visiteurs fut très exactement de 828 selon A.J. Tudesq, qui note par ailleurs qu'ils appartenaient, dans leur immense  majorité au milieu aristocratique. Utilisant les listes données par les journaux légitimistes en décembre 1843, il observe qu'elles comptent uniquement 115 noms d'origine roturière. Les grands notables, t. II p.687
36H. de Lacombe, Vie de Berryer, t. 2, p. 397
37Selon Cuvillier-Fleury, la reine lui en voulait de n'avoir pas tenu sa parole (ne pas venir en Angleterre cette année comme il lui avait promis). Le comte de Chambord lui aurait dit qu'il n'avait fait qu'obéir aux impatiences de son parti.
38L'attitude d'O. Barrot, leader de l'opposition dynastique est sur ce point fort révélatrice: "Si le ministère avait compté sur notre appui dans cette circonstance, il s'était grossièrement trompé. Sans approuver la démarche des légitimistes à Belgrave-Square, nous ne pouvions reconnaître à la Chambre le droit de les juger et de les flétrir pour cette action: nous savions trop à quel excès les majorités peuvent se porter contre les minorités, lorsqu'elles s'attribuent ce droit redoutable de frapper des adversaires politiques", Mémoires posthumes, t. I, p. 385.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «Mariage - Falloux candidat», correspondance-falloux [En ligne], BIOGRAPHIE d'ALFRED DE FALLOUX, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Madame Swetchine et son salon,mis à jour le : 09/05/2013