CECI n'est pas EXECUTE 18 novembre 1873

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18 novembre 1873

Alfred de Falloux à Jules de Bertou

Le Bourg d'Iré, 18 novembre 1873

Cher ami,

J'ai encore subi une rude crise hier, et Marie voulait écrire à Madame de Castellane à ma place ; mais elle avait passé une détestable nuit, et le rhumatisme s'est logé dans la mâchoire, de la façon la plus douloureuse. Je ne sais donc si elle a pu répondre à Amédée, comme elle en avait l'intention ; transmettez-nous les nouvelles de Lionel. Madame de Candé, qui paraissait entièrement rétablie, est reprise depuis deux jours et on lui a remis hier un nouveau vésicatoire sur la poitrine sans cependant avoir autant d'inquiétudes que la première fois.

Madame Cochin1 a en ce moment entre les mains mon premier chapitre ; le second partira demain après qu'on en aura fait la lecture ce soir à Madame de Montalembert2 et à ces dames, si Marie est debout. C'est un travail de plus en plus attachant pour moi, et dans lequel je m'absorbe tant que je puis, pour oublier le douloureux spectacle de notre situation. Antoine était le premier inscrit pour parler hier, et une lettre vous donnera sans doute le commencement de séance avant les journaux. Il n'y a donc plus qu'à faire des vœux pour son succès. Je suis bien loin d'être sans inquiétude, non seulement sur lui, mais sur toute l'assemblée. La prorogation des pouvoirs du Maréchal devait être enlevée dans les 24 heures, et on avait compté là-dessus, car cela ne peut se tenir debout devant une discussion serrée et logique. La malice du hasard favorisant la hideuse convoitise de MM. Thiers et Rémusat, a fait échouer ce premier plan. Il faut maintenant un parti pris bien résolu pour voter sous le feu des arguments et des amendements qui vont pleuvoir comme grêle. La moindre impressionnabilité sincère, la moindre perfidie d'un mécontent, la moindre folie d'un fou peuvent tout compromettre.

Il n'y aurait eu de sensé et de solide, je le crois toujours, que la monarchie et la régence ; mais il fallait pour cela braver l'esprit de coterie, et s'inspirer du seul amour de la France. Nous nous n'en sommes pas là ; nous en sommes juste au même point qu'au début de l'émigration. Le Français citait hier des fragments de Mallet du Pan3 ; c'est absolument au pied de la lettre le résumé de ce que nous voyons aujourd'hui dans l'Union et dans l'Univers, y compris les Bonapartes, qui sont toujours là pour guetter nos fautes.

Nous demandons toujours avec détail les nouvelles de Berlin ; comment le cher abbé Couvreux supporte-t-il son séton, et quel mieux en éprouve-t-il ?

Notes

1Adeline Alexandrine Marie Cochin née Benoist d'Azy (1830-1892). Elle avait épousé Augustin Cochin, décédé le 15 mars 1872.
2Marie-Anne Henriette dite Anna de Montalembert, née de Mérode (1818-1904), veuve de Charles de Montalembert avec qui elle s'était mariée en 1836.
3Jacques Mallet du Pan (1749-1800), journaliste et propagandiste politique suisse. Venu s'installer à Paris en 1782, il soutint les députés de 1789 qui étaient partisans d'une constitution à l'anglaise. Rallié aux Monarchiens, il désapprouva la Déclaration des droits de l'homme et finira par rejoindre le camp des émigrés dés 1792.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «18 novembre 1873», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, 1873, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 05/06/2013