CECI n'est pas EXECUTE 12 novembre 1873

1873 |

12 novembre 1873

Alfred de Falloux à Jules de Bertou

Le Bourg d'Iré, 12 novembre 1873

Cher ami, ma grippe se calme, mais ma voix reste très prise, et la dictée la révolte très aisément. Je supprimerais donc encore aujourd'hui mes gémissements en commun avec les vôtres sur le sort de notre pauvre pays, se débattant comme Suzanne entre les hideux vieillards, Thiers et Rémusat. Le centre-gauche paraît sentir enfin l'odieux de sa complaisance, et il veut évidemment transiger avec le gouvernement, cela aura le grand avantage, à mes yeux, de ne plus mettre une majorité de 14 voix à la merci de 14 fous comme Du Temple1, Fresneau, Franclieu2, Belcastel3, et leurs camarades4. Mais cela aura du même coup l'inconvénient de ramener les allures officielles à des tâtonnements qui ne sont plus de saison ; c'est là où le duc de Broglie va subir son dernier examen et où l'on verra s'il est un homme d'État ou un simple homme d'esprit et de bonnes intentions.

Dites à Madame de Castellane combien nous sommes occupés de son petit retour de souffrance, et comprenez bien dans ce nous Madame de Montalembert5, dont le charme devient de plus en plus grand à mesure qu'on la connaît davantage. Dites bien aussi à l'abbé Couvreux combien nous voudrions que ce dernier supplice du séton fut enfin le gage de sa guérison. Le général Trochu a bien raison en théorie, mais avec des princes (je mets le pluriel pour faire plaisir) si difficiles à rapprocher et à faire marcher ensemble, on a couru au plus pressé, dès qu'on a vu un accord apparent, et cet empressement même n'a pas été encore assez pressé, puisque le fond des cœurs a fait explosion à la veille même du succès. Il me semble évident que c'est la préférence du général que l'on tente aujourd'hui de réaliser ; espérons que cela tournera mieux ! Il m'a paru que ma lettre l'avait un peu piqué ; je ne sais pas pourquoi, car j'avais cru et voulu la rendre très affectueuse.

Soyez quelquefois mon interprète à Berlin, Alfred.

Notes

1Du Temple de la Croix, Jean-Marie Félix (1823-1890), officier de marine et homme politique. Élu de l'Ille-et-Vilaine à l'Assemblée nationale de 1871, légitimiste et catholique, il siégeait à l'extrême-droite.
2Franclieu, Charles Paul Alexandre Pasquier, marquis de (1810-1877), homme politique. Élu des Hautes-Pyrénées à l'Assemblée nationale de 1871, il se fit inscrire à l'extrême droite, parmi les légitimistes intransigeants, et vota pour la paix, pour l'abrogation des lois d'exil, puis pour la démission de Thiers. Il s'abstint lors du vote sur la prorogation des pouvoirs du Maréchal, vota pour l'état de siège, contre le ministère de Broglie, contre la dissolution de l'Assemblée, contre l'amendement Wallon, contre les lois constitutionnelles. En mai 1872, le duc d'Aumale ayant avoué à la tribune ses préférences pour le drapeau tricolore, M. de Franclieu lui écrivit une lettre pour lui reprocher de pactiser avec la Révolution. Ayant protesté contre la prorogation des conseils municipaux, il demanda, le 8 janvier 1874, avec la gauche, que la nomination des maires fut laissée aux conseils municipaux. Il signa l'adresse des députés au pape à propos du Syllabus, et fit partie du pèlerinage de Paray-le-Monial. Le 11 décembre 1875, il fut élu sénateur inamovible par l'Assemblée nationale. Après le 16 mai, il vota la dissolution, mais ne cacha pas combien peu de confiance lui inspirait le gouvernement de l'ordre moral. Il mourut quelques mois après.
3Belcastel, Jean Baptiste Gaston Gabriel Marie Louis Lacoste de (1821-1890), homme politique français, il fut élu à l’Assemblée nationale le 8 février 1871 (Haute-Garonne). Légitimiste intransigeant, il fut le seul à Bordeaux à refuser de nommer Thiers chef du pouvoir exécutif de la "République" et vota contre le transfert de l'Assemblée à Bordeaux. Il était le représentant parfait de ceux qu'on appelait les "chevau-léger". Il s'opposa à la fusion avec les orléanistes, contribua en mai 1873 au renversement de Thiers, vota contre de Broglie en 1874 et contre l'amendement Wallon en janvier 1875. Élu sénateur de Haute-Garonne le 30 janvier 1876, il protesta contre la loi qui retirait aux facultés libres l'octroi des diplômes, s'opposa au recensement des congrégations et vota le 16 mai 1877 la dissolution de la Chambre.
4Tous sont des fidèles intransigeants du comte de Chambord, adversaires résolus de toute idée de fusion.
5Marie-Anne Henriette dite Anna de Montalembert, née de Mérode (1818-1904), veuve de Charles de Montalembert avec qui elle s'était mariée en 1836.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «12 novembre 1873», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, 1873, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 05/06/2013