1874 |
3 janvier 1874
Charles de Lacombe à Alfred de Falloux
Versailles, 3 janvier 1874
cher ami,
je devine trop bien vos préoccupations pour ne pas vous tenir au courant de ce que je sais, vous demandant en échange vos conseils qui nous seraient à tous si précieux. On s'est séparé hier à l'Élysée dans des formes très courtoises, mais sans que l'accord en soit plus avancé : nos amis, tout en protestant énergiquement de leur intention de faire la deuxième chambre et d'organiser les pouvoirs du Maréchal, se sont maintenues sur le terrain du septennat personnel. M. Dufaure a été, me dit-on, très conciliant. Il n'insisterait plus ni sur la déclaration de la république, ni même sur la présomption de la continuation républicaine en 1880. Il admettrait qu'à cette époque le congrès statua sur la forme de gouvernement. Mais il voudrait que la période sexennale fut une période fermée aux questions de gouvernement et que, le Maréchal disparaissant, on lui donnât un successeur dans la forme actuelle. Il est bien certain que si l'on ne peut faire la monarchie, nos amis mettront en pratique comme ils l'ont fait au 24 mai cette transmission de pouvoir contre laquelle il s'élève si fort en théorie ; et il est bien certain aussi que la monarchie redevenue possible, ce n'est pas le septennat impersonnel qui empêchera. Des deux côtés, il y a une égale subtilité à batailler sur une vacance que la bonne santé du Maréchal ne laissera peut-être pas se réaliser : mais il n'en est pas moins vrai qu'aux yeux du pays ceux qui dissent que pendant six ans, il faut éviter les questions de gouvernement auront raison et que ceux qui, ne pouvant faire un notre régime, veulent gratuitement se réserver le droit théorique de mettre perpétuellement en question celui qui existe se donneront tort. En voulant sauver la faculté de faire la monarchie, on perdra le parti monarchique et on précipitera le succès de la proposition Périer1, c'est-à-dire de la République, en se refusant, sous prétexte que ce serait organisé la république, au septennat impersonnel. Je voudrais, du moins, que nos amis laissassent quelque chose aux circonstances, et qu'ils évitassent de prendre dés maintenant positions sur cette question. Malheureusement la faute est déjà faite ; elle est faite depuis plus de dix mois, et ceux d'entre eux qui l'ont commise en s'engageant imprudemment, se créent aujourd'hui sur cette question un point d'honneur artificiel, veulent y priver leurs parties, et ne négligent rien pour éveiller ses soupçons et ses craintes contre cette transaction. Ajoutez à cela, pour quelques-uns, une répugnance instinctive à voir entrer dans le cabinet un élément centre-gauche, notamment M. Dufaure. Ils veulent discuter les lois constitutionnelles, ils savent que l'extrême droite ne les votera pas et que, dès lors, il faut bien, si l'on veut avoir une majorité, en chercher le complément ailleurs. C'est à quoi ils se refusent, mettant autant d'ardeur à dire que les lois constitutionnelles seront repoussées, qu'à dire qu'ils les voteront, en sorte qu'on se demande s'ils ne veulent pas tout simplement se dégager d'un engagement personnel, sauf, le rejet plus ou moins désiré des lois constitutionnelles une fois accompli, à se rapprocher de l'extrême droite pour essayer de réformer l'ancienne majorité. Vous comprenez ce qu'une telle disposition, propagée par les hommes qui ont empire sur la droite et qui s'étaient montrés jusqu'ici en dissidence avec les chevau-légers, peut avoir d'influence sur la réunion Colbert2. Il faudrait, pour lutter contre, une situation d'autorité et une ancienneté de service que personne ne possède. Si vous étiez parmi nous, je ne doute pas que, dans une de ces réunions, vous ne fissiez tomber ses toiles d'araignées auxquels le pays ne comprendra rien. Mais les efforts individuels sont bien faibles contre ce courant. M. Buffet a été appelé aujourd'hui chez le Maréchal. Je ne serais pas étonné que celui-ci insista pour qu'on fit du moins la seconde chambre, sauf à discuter plus tard sur le personnel et l'impersonnel qui se rapportent à une époque où il ne sera plus au pouvoir. On paraît d'accord d'ailleurs pour commencer la discussion par la seconde chambre en admettant un article qui ne rendrait le vote sur la seconde Chambre définitif que lorsqu'il aurait été pourvu à la transmission du pouvoir.
Adieu, cher ami, tout à vous.
Ch. de L.