1873 |
19 juin 1873
Alfred de Falloux à Pauline de Castellane
Bourg d'Iré, 19 juin 1873
Chère Madame,
Marie vous a remercié hier de votre premier télégramme, qui nous a tiré d'une bien vraie inquiétude, et aujourd'hui, à peu près hors de mon lit, je viens vous remercier du second, qui me présente une grande tentation, mais ne peut malheureusement pas briser les obstacles dont je suis entouré. Marie ne vous aura sans doute pas parlé de ses propres souffrances ; cependant elles sont tout à fait arrivées à l'état permanent et aigu. Dans la nuit de samedi à dimanche, elles auraient pris un tel caractère de vivacité que Eugénie1, voulant très à propos ménager Madame de Caradeuc, vint me réveiller à trois heures du matin, et à quatre, nous envoyâmes chercher M. Letord2 qui nous rassura complètement sur le danger, mais nullement sur la disparition du mal, qui, moitié nerveux, moitié goûteux, nous fera passer encore de bien mauvais moment. Jugez ce que deviendrait Loyde, entre sa mère et sa grand-mère,, si leurs souffrances venaient à coïncider. Je ne puis donc m'éloigner, tant qu'un mieux bien appréciable ne sera pas établi, et jusqu'ici rien ne l'annonce encore ; pour mon compte, ce que je regrette uniquement dans Royat3, c'est la rare chance de vous voir à l'aise et de vous soigner. Quant à ma cure, j'y crois peu. J'avais obtenu, il y a dix ans, un soulagement momentané qui n'était pas une guérison, l'avenir l'a trop prouvé ; depuis ce temps, les années et les Prussiens ont fait leur œuvre, et cela, Royat ne peut plus le défaire.
Veuillez, chère Madame, transmettre mes raisons à Madame de Cambyse, qui, je l'espère pour elle et pour vous, doit être arrivée ou arriver tout prochainement à Royat. Elle aussi ajoute beaucoup à mon regret, mais je ne puis dire à mon hésitation, car mon devoir est trop tracé. Bertou, que nous attendions hier, nous annonce par le télégraphe une migraine aiguë et ne viendra que ce soir. Albert [de Rességuier] m'écrit que nous allons perdre notre préfet, qui va remplacer M. Pascal prés de M. Beulé4 ; c'est un très bon choix pour le ministère, mais une grande perte pour l'Anjou, et pour moi en particulier, car il ne me refusait jamais rien. J'en conclus que M. Beulé ne songe pas à donner sa démission5 et n'est pas trop ébranlé devant l'Assemblée ; j'en suis doublement aise, car tout remaniement dans les circonstances actuelles, aurait été une fissure dans une digue, et ce n'est pas à une riveraine de la Loire qu'on a besoin d'apprendre quel est ce genre de danger. Maintenant, chère Madame, complétez par vos bonnes nouvelles notre commencement de sécurité politique. Dites-nous si vous avez retrouvé M. Imbert6, demandez-lui de ma part s'il est toujours aussi Veuillotin et veuillez me dire aussi si la pauvre petite Michon existe encore et préside toujours au verre d'eau de la fontaine.. Àh ! Croyez bien, je vous prie, que si je m'en étais cru libre, j'aurais été bien heureux de recommencer le séjour avec vous,
Alfred