CECI n'est pas EXECUTE 24 octobre 1873

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24 octobre 1873

Alfred de Falloux à Jules de Bertou

Bourg d'Iré, 24 octobre 1873

Cher ami, Mme de Caradeuc et Loyde ont eu d'abord une vraie tentation d'aller voir l'entrée du roi à Paris, et l'idée d'y retrouver Mme de Castellane ajoutait encore à leur désir ; mais la réflexion survenant à l'égard de leur deux santés, et à l'égard de la pauvre Marie, dont l'état ne s'améliore pas, ce premier mouvement s'est éteint et moi, qui n'y est certainement pas mise obstacle, je m'en réjouis, car les deux voyageuses au milieu de la foule et dans une auberge me causer de l'effroi. Je vous rends compte de ces pensées évanouies pour que Rochecotte ait bien le sentiment que les doutes sur notre prochain un avenir dont vous a parlé le duc de Maillé, et dont j'ai reçu aussi l'expression directe, ne partent pas du Bourg d'Iré. Ils viennent de plusieurs détails qu'Arthur [de Cumont] a puisés dans la réunion Annisson1 et qui sont bien faits, il faut en convenir, pour justifier la tristesse et l'inquiétude sur un prince qui paraît sentir si peu l'importance de ce qu'il fait ou ne fait pas. Pour moi, je demeure fidèle au vieux système que vous me connaissez et qui m'a permis d'être très royaliste à Versailles en demeurant très sincère. Le comte de Chambord a sur les yeux de grosses des écailles qui le rendent complètement aveugle ; mais ces écailles tombant, au contact de même de la France, il recouvrera une vue suffisante pour distinguer le chemin qui l'a mené au trône et le chemin par où le roi Charles X s'est précipité dans l'abîme. Cela suffit pour faire un chef de royauté représentative, et Dieu fera le reste. Je n'aurais jamais consenti, comme on le faisait à Rochecotte, à livrer la France ou même à la subordonner à l'absolutisme lointain du prince ; mais cet absolutisme ayant reconnu et accepté, je persiste à croire qu'on sera récompensé de la condescendance et de tous les bons sentiments convient de mettre en œuvre pour le principe qu'on aura recouvré à ce prix. Dans ce mot récompense, cher ami, il est bien entendu que je ne fais pas entrer la mienne ; et c'est ce qui m'interdit de songer à Paris avant que le scrutin de l'académie ne m'y appelle naturellement, vers le mois de janvier ou de février. Si j'allais à Paris bien prochainement et sans autre motif que de faire l'empressé, j'aurais l'air de provoquer l'attention sur moi, et de chercher une miette de gâteau ; rien n'est plus loin de mon cœur, et l'insuffisance incurable de mes forces ne me fait plus aucune illusion, vous le savez depuis longtemps. Je me suis donc plongé avec délice dans le travail sur Cochin, et en ne comptant que sur trois jours de tête libre par semaine, j'espère que mon manuscrit sera terminé à l'heure du scrutin académique et que je pourrais du même coup le porter à Mme Cochin2. Pour vous, cher ami, qui êtes plus valide que moi et qui n'avez jamais partagé ma révolte, j'espère que vous accompagnerez Mme de Castellane, et que le comte de Chambord s'il est bien inspiré vous gardera.

Mille vœux pour cette justice, dont l'absence serait une si grande ingratitude, et mille tendresses en attendant.

Alfred.

Merci de votre grande lettre qui arrive.

Notes

1Anisson-Duperron, Roger-Léon (1829-1908). issu d'une famille de hauts fonctionnaires et d'hommes politiques, il est  député  légitimiste (Seine-Maritime) à l'Assemblée nationale.
2Adeline Alexandrine Marie Cochin née Benoist d'Azy (1830-1892), veuve d'Augustin Cochin.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «24 octobre 1873», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, 1873, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 13/12/2015