Année 1851 |
11 janvier 1851
Pierre-Antoine Berryer à Alfred de Falloux
Mercredi 11 [janvier 1851]
Je m'étonne et m'afflige, mon cher ami, d'être arrivé à cette date de janvier sans avoir encore répondu à l'amicale et excellente lettre que j'ai reçue de vus en rentrant à Paris à la fin du mois dernier. J'avais été fort occupé, depuis l'arrivée des bonnes nouvelles d'Allemagne, de la question que je retrouve dans votre lettre et j'ai plus d'une fois pensé à l'ouvrage1 dont vous m'avez permis de lire une partie et que je désirais vivement vous voir compléter. Je ne suis pas du tout de l'avis de notre ami, ni de Salvandy, il ne me paraît pas que vous soyez désormais bien plus à l'aise et je pense que pour ne pas empêcher l'heureux événement de produire tous les bons fruits que nous sommes en droit d'en attendre et que me fait espérer l'impression générale qu'il fait sur les esprits, vous êtes condamné à vous imposer une réserve et à garder des ménagements envers certaines personnes, à l'endroit desquelles vous aviez, avant la réconciliation royale, toute liberté et je dirais même le devoir de vous exprimer très franchement. J'étais à Bruxelles dans les derniers jours de décembre et j'ai bien senti là, que les trop justes reproches que vous aviez à faire arriveraient aujourd'hui très mal à propos et troubleraient une disposition d'esprit qui est excellente, et qu'il nous est permis de tenir pour très utile, puisque la situation des choses ne laisse plus flotter les déterminations entre des éventualités diverses.
Ici les hommes qui avaient su prendre de bonnes résolutions et une salutaire direction avant l’événement accompli, quelques-uns d'entre eux du moins, ne sont pas fâchés, peut-être par persévérance d'ancienne rancune, de voir les conseillers de mauvais conseil, vaincus et empêchés de s'attribuer part au succès. On se dit bien de temps en temps que c'est grand malheur que cette conclusion n'ait pas été obtenue plus tôt et que c'est un grand tort à ceux qui y ont mis obstacle. Mais ceux-ci ne montrent point de mauvaise humeur du fait accompli et tiennent un bon langage sur la nécessité de suivre franchement la voie nouvelle puisqu'elle est ouverte. Il ne serait donc pas sans inconvénient de réveiller le souvenir de la mauvaise conduite passée et de faire revivre les justes reproches qui maintenant aigriraient les esprits et leur inspireraient peut-être une hostilité que bien certainement ils n'ont plus.
Il n'en est pas moins désirable de faire l'histoire du parti royaliste sous la République et de rendre justice aux hommes monarchiques de toute origine, qui ont cherché dans l'union des volontés et la reconnaissance du droit, les garanties d'un meilleur avenir pour le pays. En disant si l'empire est fait, je me garderais bien de vous engager à ne pas ajouter, c'est la faute des démagogues et de ceux qui ont résisté à la pensée de rétablir l'unité dans la maison royale, mais je crois que vous devez quant à ces derniers observer des ménagements personnels et plus signaler le vice de la pensée que le nom même de ces malencontreux penseurs. Je dois vous ajouter, mon cher ami, que dans l'état présent des choses et des esprits j'ai quelque lieu d'espérer qu'ils sera plus facile, que je ne l'avais cru jusqu'ici, de ramener la bonne intelligence et l'accord entre ceux qui ont été le plus divisés dans le camp même contre lequel nous avons lutté pendant 18 années.
Vous avez lu certainement les longues colonnes écrites par M. de La Guéronnière2, ce travail lentement élaboré, médité par les meilleures têtes du parti, et préparé de concert entre les plus habiles, vous prouve assez combien de ce côté on désire raviver toute vieille querelle et tout germe de division ; c'est pour nous un profitable avertissement sur le travail contraire auquel nous devons persévéramment nous appliquer.
Je me réjouis des bonnes nouvelles que vous me donnez et de vous et des biens chères santés auxquelles vos amis prennent un si vif intérêt. Je ne sais quand un vent de bonne fortune me viendra porter vers les lieux où vous êtes, mais soyez assuré qu'en été, automne ou hiver, je ne perdrais pas une occasion de me rapprocher de vous. A vous de tout cœur, faites agréer mes sincères et affectueux hommages pour madame de Falloux.
Berryer