CECI n'est pas EXECUTE 6 août 1851

Année 1851 |

6 août 1851

Pierre-Antoine Berryer à Alfred de Falloux

Château de Thieux, par Dammartin-en-Goële (Seine et Marne), mardi 6 août [1851]

Mon ami, vous devez voir demain je crois, M. le duc de Lévis1 et sans doute vous aurez lu ce matin l'article de L'opinion publique, ce doit être un point sérieux de votre entretien, est-il croyable qu'après la réunion qui eût lieu chez moi hier, après les paroles qu y ont été dites, après la conférence du soir rue de Rivoli, quand l’importance des questions a été comprise de tout le monde, quand la mauvaise origine de la mauvaise politique a été si positivement signalée, quand le but de nos obstinés ennemis a été clairement démasqué, est-il croyable qu'un de nos amis, un de nos collègues s'empresse de jeter dans son journal cette contradiction, sans hésitation, sans réserve, et ne redoute pas de prendre comme engagement d'honneur, l'engagement public le plus mal avisé, le plus dépourvu de raison, surtout le moins urgent?  Que veut dire cette impatience de se montrer en opposition ouverte avec nous ? Tout le monde sait de quelles ressources vit ce journal, tout le monde dit par quels secours il est encouragé. On ne savait pas moins précisément dans tout Paris à quelle même caisse se puisent les subventions accordées à un autre journal  qui depuis deux mois nous adresse et les plus injustes et les plus grossiers outrages. Oh certes je suis loin de m'en sentir blessé ou de croire que nous en sommes diminués. Ces messieurs sont assez connus pour que leur contradiction n'ôte aucun crédit à ce qu'ils combattent. S'il ne s'agissait que de conserver ou d'agrandir une bonne position personnelle, il y aurait bénéfice très grand à n'avoir que de tels contradictions. Mais au moment où plus que jamais l'intérêt général réclame que l'union se montre dans nos rangs, il est triste de voir cette attestation empressée de déclarer des dissidences. Qu'au moins on se sépare ouvertement ! Et que ce ne soit pas en sortant de nos délibérations que l'on proclame ainsi des résolutions opposées aux conversations, aux déterminations de l'immense majorité. Est-ce donc que les faiseurs de la circulaire sont autorisés à donner des démentis à la lettre de Venise2? Ne voit-on pas qu'ils semblent être approuvés par la protection même qu'il leur est accordée, au su de tout homme qui est un peu instruit des choses de la politique ? Est-ce que l'on ne comprend pas combien est immense le danger de donner le droit ou le prétexte de penser que deux conduites contradictoires sont inspirées par la même direction ?

Je ne veux pas dire qu'il nous est pénible d'être mis en situation de passer pour dupes, je crains bien plus de nous voir accuser de n'être pas sincères. Il ne se peut pas qu'un tel état de choses se prolonge. Si la conduite, le langage, les laborieux efforts de quelques hommes ne paraissent pas ce qu'il y a de mieux à faire et à dire, qu'on les invite au repos, ils sont prêts à se soulager du fardeau si lourd de la responsabilité qui pèse sur eux. Si c'est par de puérils ménagements qu'on ne met pas fin à ces luttes intestines, il faut bien redire et expliquer que de pareilles faiblesses sont mortelles parce qu'elles enlèvent toute dignité. Nous voici dans les jours d'action et d'action décisive, si on est soupçonné ou d'irrésolution, ou d'arrières pensées, on peut être assuré d'une défaite honteuse et irréparable. La parfaite loyauté, la netteté des idées, la fermeté du bon vouloir donnent seules la force qui triomphe et peut triompher quand un peuple entier est spectateur et juge, quand il doit prononcer lui même sur ses destinées, sur l'avenir auquel il veut les confier.   

J'espère, mon ami, que vous serez encore à Paris samedi. J'irai assister ce jour-là à la dernière séance de l'assemblée ; il importe que nous puissions nous revoir avant que vous n'approchiez d'Autun (???). En tous cas prenez la peine de m'adresser ici quelques mots par le courrier de demain soir.

Croyez fermement, mon ami, à mon tendre et fidèle attachement, idem velle, idem nolle, ea demum firma est amicitia3.

Notes

1Gaston François de Lévis, duc de Lévis et de Ventadour (1794-1863), est un fidèle serviteur du comte de Chambord, il faisait office de ministre de la maison du roi.
2Dans cette lettre du 23 janvier 1851 écrite de Venise, sa résidence d'hiver, le comte de Chambord félicitait Berryer pour son discours du 16 janvier 1851 à l'Assemblée législative et parlait de « cette politique de conciliation, d'union, de fusion qui est la mienne et que vous avez si éloquemment exposé ». Le prétendant ajoutait cependant « Le jour où elle (La France) sera convaincue que le principe traditionnel et séculaire de l'hérédité monarchique est la plus sure garantie de la stabilité de son gouvernement et du développement de ses libertés, elle trouvera en moins un Français convaincu ».
3« Car avoir les mêmes désirs et les mêmes répugnances c'est la en somme qu'est l'amitié ».

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «6 août 1851», correspondance-falloux [En ligne], Seconde République, Années 1848-1851, Année 1851, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 02/09/2013