CECI n'est pas EXECUTE 3 décembre 1855

Année 1855 |

3 décembre 1855

Albert de Rességuier à Francisque de Corcelle

3 décembre 1855

Cher ami,

Je commence de suite par le chapitre des indiscrétions; vous pouvez être sûr qu'elles émanent de Rome, ce qui ne sait s'applique que trop aisément avec un certain entourage très pieux et très < mot illisible> dévoué à V[euillot]. Votre nom, ni rien de ce qui vous concernait n'a jamais été connu de mon frère1 qui a transmis des paroles avec un seul nom propre qui, vous vous le rappelez, n'était pas le vôtre. Vous n'étiez clairement indiqué que pour moi par la coïncidence des dates et des faits :toutes choses également ignorées par le messager. Je me suis tenu en lui répondant sur la même réserve. J'ai d'ailleurs la preuve de communications du même genre pour une lettre de moi à l'évêque d'O[rléans] laissée par lui entre les propres mains du saint personnage qui vous envoie ses tendres souvenirs par le procureur de La Trappe. Depuis lors, non seulement indication mais copie textuelle de ma lettre a été envoyée de Rome à Paris, avec ces mots : Cela a failli réussir ! Aussi V[euillot] a-t-il dit récemment : je me réconcilierai plutôt encore avec l'évêque d'Orléans qu'avec Monsieur de  F[alloux].

Du reste, cher ami, il ne se réconcilie ni ne se réconciliera avec personne. Vous êtes moins sévère que moi aujourd'hui sur ce misérable, mais je crois que vous me rejoindrez avec le temps. Vous aviez attendu de lui quelques bon conseils des navrantes douleurs que Dieu lui envoyait ; vous avez pu voir ce qu'elles ont produit dans les articles sur Buffon et le Correspondant2; il ne lui manque que d'aller au bal de l'hôtel de ville avec le roi de Sardaigne3, mais je conviens que ses passions ne sont pas tournées de ce côté-là. On ne peut les avoir toutes à la fois. Je vous féliciterai s'il persiste à ne pas insérer votre notice, et il me semble que ses premiers refus auraient dû soulever les paupières de votre évêque. Est-ce qu'il trouve naturel qu'on fasse payer au trappiste les frais de la guerre ? Mais laissons ce chapitre personnel que nous reprendrons bientôt, j'espère, dans de longues causeries, et revenons à ce qui est malheureusement plus important que les bouderies et les malices de Monsieur V[euillot].

Mon frère vient de m'écrire qu'il venait de traverser deux mois de maladie et de fièvre et qu'il était encore relégué dans les montagnes comme préservatif. Il avait communiqué à qui de droit ma lettre relative à une note dans le journal romain4 ; il me dit à ce sujet : tes vues ne sont pas celles du Saint-Père ; il insiste ensuite comme de coutume sur la rédaction du mémoire collectif.

Voici maintenant ce qui est advenu à Paris de ce susdit mémoire.

La Côte-d'Or et le Loiret ont été fidèles au rendez-vous de Paris. Le Loiret5 avait reçu, au sortir du Bourg d'Iré, le président débonnaire avec lequel vous aviez eu maille à partir ; ils avaient approfondis de nouveau la matière et le Loiret, quoique exigeant, avaient été si satisfait de la netteté des points de vue,  de la fermeté des convictions en commun avec les vôtres, qu'il opinait fortement pour qu'on employât pas d'autres moyens que ce mémoire très vivant et très parlant. La Côte-d'Or6, toujours convaincue, par ses propres renseignements, que ce même personnage a une influence personnelle très considérable et déterminé par d'autres motifs qu'il faut garder pour le vive voix, a conclu également contre le mémoire   écrit. Il a donc été convenu simplement que j'écrirais une lettre précise mais courte au second personnage de ce pays-là, pour accréditer votre porteur de paroles, qui doit débarquer en ce moment même en dehors de mon intermédiaire de famille, ce qui donnait à toute la négociation un cachet trop prisé, et pouvait donner lieu à des choses mal comprises. Je dois écrire cette lettre ici. Je ne la ferai pas d'ici à huit jours, afin de me donner le bénéfice de vos conseils et de votre direction, si vous voulez bien y penser un peu. Pour mon compte, je suis bien aise, je vous l'avoue, d'arriver à quelque chose qui en finisse. J'ai toujours été convaincu qu'un papier écrit et muet à la réplique ne pouvait pas gagner une cause plaidée tous les jours de l'autre côté par des agents bien placés et dévoués. Je ne crois pas non plus que votre intermédiaire actuel soit suffisant, mais il rendra des commencements de services que des évêques seuls, présents, résolus et calmes seraient en mesure d'achever. C'est donc un plan de conduite, plus qu'un plan de discours que je croirais appeler à réunir. Cela nous mène au Correspondant et au cardinal de la Rochelle7.

Mais, en voici assez, cher ami, si ce n'est trop pour une seule lettre. Faites-moi part, à votre tour, de vos impressions et de vos renseignements. Tout me sera également précieux et opportun, car j'ai deux mois pour préparer mon article du Correspondant, demeurant toujours très décidé à ne rien écrire qui semblera flatter l'académie, avant qu'elle ne se soit prononcée sur mon sort. Le duc de Noailles vient de m'écrire que la famille de M. Molé désirait que le soin d'honorer sa mémoire me fut confié, c'est rendre justice à mon bien sincère attachement et à mon bien profond regret ; c'est aussi me préparer une tâche très délicate. Je vais donc répondre au duc de Noailles que je m'en remets entièrement à lui pour régler le tout comme il le voudra. La double élection, selon lui, aura lieu aux premiers jours de février.

Mille et mille pardons, cher ami, d'une dépêche si démesurée. Je ne veux cependant pas la clore sans passer aussi mon bras autour de votre cou, en mémoire et en l'honneur de votre charmant petit malade8. Madame de Falloux vous adresse, comme moi, ainsi qu'à Madame de Corcelle, ses plus vives félicitations.

A. de F.

Notes

2L'Univers du 15 octobre avait publié un article très violent à l'encontre de Buffon et celui du 4 novembre était tout aussi hostile au Correspondant.
3Victor-Emmanuel II de Savoie (1820-1878), prince de Piémont, comte de Nice et roi de Sardaigne de 1849 à 1861, il fut le premier roi d'Italie de 17 mars 1861 jusqu'à sa mort. Effectuant un séjour n France, il venait d'être reçu à l'Hôtel de ville.
4Journal de Rome, organe officiel du Vatican.
5Mgr Dupanloup, évêque de ce diocèse.
6Mgr François-Victor Rivet (1796-1884), évêque de Dijon depuis 1838.
7Villecourt, Clément (1787-1867), nommé évêque de La Rochelle en 1836, il sera démissionnaire et fait cardinal de curie le 17 décembre 1855.
8Le jeune fils des Corcelle venait de se casser le bras lors d'une chute.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «3 décembre 1855», correspondance-falloux [En ligne], Année 1852-1870, Second Empire, Année 1855, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 20/09/2013