Année 1854 |
1er octobre 1854
Abel Villemain à Alfred de Falloux
Ier octobre [1854]
Monsieur,
J'avais répondu à demi-voix, mais très sincèrement à la question confidentielle de M. de Salvandy. Je ne puis donc avoir embarras ni regret à m'en expliquer avec un des hommes que j'honore le plus. Ce que vous dites, Monsieur, sur la place des lettres en France, sur ce qu'elles conservent et ce qu'elles représentent, me paraît d'une grande et ingénieuses vérité ; et la conséquence que vous voulez bien tirer de cette opinion ne saurait, je crois, qu'être agréable à beaucoup de nos confrères. Si l'académie n'a pu songer dans telle époque assez récente à décerner, ce qui eut été fort juste, le prix du courage civil au lutteur éloquent du débat sur les ateliers nationaux1, ne serait-il pas équitable de lui réserver une autre récompense pour les belles et excellentes pages qu'il a écrites sur des sujets d'histoire et de morale ? Je puis m'avancer jusqu'à cette question, sans témérité.
Quant à l'occasion et à l'époque, tout est bien obscur dans cette vie et qui sait s'il doit survivre assez pour aider de son vote à ce qu'il verrait le plus volontiers ? Mais en jugeant des autres par soi-même , on peut croire, que dans toute circonstance votre nom trouvera parmi nous autant de faveur que d'estime, surtout si chacun est à propos bien convaincu qu'un exemple, en ce moment donné, ne se renouvellera pas, et que l'académie n'aura pas une seconde fois nommé un grand orateur, pour qu'il se taise. Je serai fort heureux, Monsieur, d'être informé de votre passage à Paris, et je profiterai avec grand empressement d'une occasion d'avoir l'honneur de vous voir, et de vous parler, comme j'écris. Permettez-moi de saisir, en ce moment, celle que vous voulez bien m'offrir de vous remercier de votre confiance amicale, et de vous exprimer tous mes sentiments de très haute considération, et d'affectueux hommage à la noblesse du caractère et du talent. Veuillez en agréer l'assurance.
Villemain