CECI n'est pas EXECUTE 16 octobre 1871

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16 octobre 1871

Alfred de Falloux à Jules de Bertou

Bourg d'Iré, 16 octobre 1871

Cher ami,

J'ai fini par recevoir toutes vos lettres, celles de Madame de Castellane, celle de Madeleine [de Castellane]1 et j'adresse à tous un remerciement précipité, parce que je trouve ici un arriéré formidable et que ma première journée s'est passée tout entière dans mon lit, comme vous l'a écrit Monsieur Riobé2 ; j'ai ce matin une lettre de l'abbé Couvreux, incertain encore des mouvements de son évêque3, et même de son retour à Orléans, mais promettant de plaider chaleureusement pour Rochecotte et pour le Bourg d'Iré ; je reçois aussi à l'instant le discours d'Antoine [de Castellane] dans le Cantal, mais je n'ai pu lire encore que l'adresse de son écriture, parce que la poste de Segré a aussi sa révolution; le vieux Hervé ne va pas plus qu'à Marans, et son fils, qui vient au Bourg d'Iré, plus exacte pour l'arrivée, est, en revanche, beaucoup plus prompte pour le départ et demain seulement, je pourrai remercier l'orateur en connaissance de cause. Ce matin, je dois me borner à l'embrasser de confiance.

Oui, cher ami, il est très excessif de penser qu'il faut, en politique, comment en religion, se poser un point fixe, absolu, indiscutable. L'absolu ne peut exister, en politique comme en religion, parce que la politique est une science toute d'application pour ce monde-ci, tandis que la religion a pour premier objectif le monde éternel. Même en religion, du reste, l'absolu rencontre beaucoup de limites. Il ne s'applique qu'aux dogmes divinement révélés ; mais toutes les façons de le servir et de le glorifier sont, à beaucoup d'égards, du domaine du contingent. Le type absolu, même en matière religieuse, n'a été réalisé qu'un instant, qui s'est nommé le Moyen Âge ; durant le Moyen Âge même, il a été fort contesté, puis il a abouti à l'immense révolte du protestantisme ! Jugez donc par là, ou plutôt, souvenez-vous par l'histoire, de ce qu'est l'absolu en politique, et des abîmes où il a tant de fois conduit les aveugles ou les intéressés qui ont voulu se reposer uniquement sur lui. Je crois donc que ce sont ceux qui sentent le mieux le prix des principes qui doivent se montrer le plus préoccupés et le plus affligés, quand ces principes mêmes sont calomniés et dénaturés par la prétention à l'absolu. Assurément, l'heure et la mesure de la résistance soulèvent des problèmes ; mais la résistance à l'absurde n'en reste pas moins un principe aussi, et un principe également salutaire, car c'est l'honneur et la sauvegarde de la conscience humaine. Là-dessus, cher ami, je vous embrasse en priant Dieu et tous vos hôtes du même coup.

Alfred

Notes

1Madeleine de Castellane (1847-1934), née Leclerc de Juigné ; sa belle-fille, mariée le 3 avril 1866 avec Antoine de Castellane.
2Secrétaire de Falloux
3Mgr Dupanloup dont l'abbé Couvreux était le secrétaire particulier.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «16 octobre 1871», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, 1871, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 03/11/2013