CECI n'est pas EXECUTE 18 avril 1870

Année 1870 |

18 avril 1870

Alfred de Falloux à Couvreux (abbé)

Bourg d'Iré, 18 avril 1870

Cher Monsieur l'abbé,

J'ai transmis à Angers, avec les plus expresses recommandations de discrétion, les renseignements qui étaient vivement désirés et pour lesquels je puis vous exprimer une très vive reconnaissance. J'ai écrit aussi à Paris à M. de B1., quoiqu'il n'y eut aucune chance pour que la situation eut changé depuis mon départ, si ce n'est en pire. Il m'a répondu aussitôt en me répétant qu'il s'était toujours tenu à la disposition de ses amis avec un dévouement plein d'abnégation. Je lui dois en effet ce témoignage, car il avait courageusement surmonté toutes ses répugnances personnelles et aucune difficulté ne peut être mise à son compte. Je vous le dis surabondamment pour la justice de l'avenir, car aujourd'hui tout cela n'est plus qu'un passé, rapide comme un songe, et nous voici lancé de nouveau dans les aventures. Vous aurez reçu par M. du Boys 2une lettre de moi, il y a six ou sept jours, écrite déjà sous cette prévision. Elle vous aura paru peut-être bien pale d'expression, mais j'ai cru qu'il fallait qu'il en fut ainsi si vous deviez vous en servir par une publicité quelconque, puisque ce ne sont que les hommes timides et les intelligences craintives qui vont former désormais la masse des votes et porter le nombre du côté de la violence ou du côté de la modération. Du reste, croyez bien que je ne me fais aucune illusion sur les renforts qui vous viennent de nous. Quand nous pourrons causer de vive voix, au lieu de confier nos sentiments à une administration des postes qui se montre cyniquement parti prenante, vous verrez qu'au Bourg d'Iré ce n'est ni la bonne volonté, ni l'énergie qui ont manqué.

Faute de mieux, je présume que M. l'évêque d''Angers ne se fera point d'illusion sur mon compte. Il m'a répliqué sur un ton incomparable qu'il jugeait inutile de communiquer ma lettre à l'archevêque de Cambrai et que, quant à l'attente d'une réparation quelconque, juste à y renoncer et à me tenir en outre pour parfaitement satisfait. Je lui ai répondu en six lignes seulement de la plus nette clarté et j'ai réexpédié copie de ma lettre à l'archevêque de Cambrai. Puisque nous ne pouvons vous offrir un secours efficace, du moins faut-il que nous ne demeurions pas volontairement et silencieusement complices. Quant aux scandales incessants que nous apporte chaque matin l'Univers, je ne vous en dis plus rien, sinon que, du jour où paraîtrait la pièce collective que vous semblez annoncer, ce n'est pas là où je puis quelque chose que manquerait l'écho.

J'ai reçu de Mgr Strossmayer3 une lettre qui me comble de gratitude et de fierté. Veuillez le lui exprimer, en ajoutant avec quelle vivacité je salue l'espoir de le voir en France.

M. de Bertou a reçu hier votre réponse. C'était notre condoléance à tous, comme la sienne, qu'il vous avait offerte au sujet de M. de Bories. Hélas ! Nous ne vivons plus, pour ainsi dire, que de deuils ! Je vous écris en présence de la photographie de Montalembert sur son lit de mort4 et de ce double testament du Père Lacordaire et de lui, qui remuent tous les cœurs là où il y a des cœurs.

Alfred

1Sans doute Banneville, Gaston Robert Morin, marquis de (1818-1881), diplomate. Il était ambassadeur de France à Rome depuis novembre 1868.

2Boÿs Albert du (1804-1889), magistrat et historien. Nommé conseiller auditeur à la Cour en juin 1825, il avait démissionné au lendemain de la révolution de Juillet après avoir refusé de prêter serment à Louis-Philippe. Collaborateur du Correspondant, il se consacra dés lors à d'importants travaux historiques, à des études de législation criminelle et de philosophie du droit. Il s'était retiré dans son château de La Combe de Lancey, en Isère, où son ami Mgr Dupanloup venait régulièrement lui rendre visite.

3Strossmayer Joseph George (1815-1905), ecclésiastique et homme politique croate. Il fut nommé évêque de Djakovo en 1850. Il fut l'un des hommes les plus influents de la minorité au concile et n'adhéra au dogme qu'en 1872. En 1860, il était devenu le chef du Parti populaire croate. Il fut élu au Parlement croate en 1866. Ayant échoué dans ses tentatives pour constituer une fédération de la Croatie avec la Hongrie, il se retira de la vie politique active en 1873, prenant peu à peu ses distances avec le Parti populaire croate qu'il avait cessé de diriger.

4Montalembert était mort le 13 mars 1870.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «18 avril 1870», correspondance-falloux [En ligne], CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Année 1852-1870, Année 1870, Second Empire,mis à jour le : 05/03/2014