CECI n'est pas EXECUTE 27 février 1870

Année 1870 |

27 février 1870

Alfred de Falloux à Charles de Montalembert

27 février 1870*

Très cher ami,

Votre pensée m'est sans cesse présente dans la douloureuse crise que nous traversons tous en commun. Quelle tristesse de vieillir pour voir déshonorer aux yeux de la foule ce que l'on a voulu honorer et servir au prix du sacrifice de toute sa vie ! Quelle situation que celle où vous êtes publiquement traités de Hussite et de Patarin1 par des journaux censurés à Rome, et où moi, bien autrement rétrograde que vous, je suis mis en balance et entendant avec Mazzini2 ! Le tout, quand nous nous taisons, quand nous leur glissons sur le grabat et que nous mettons toutes les sourdines de notre dévouement sur les gémissements de notre cœur ou de notre esprit. Mon optimisme cependant n'est pas encore complètement abattu. Il me paraît impossible qu'un concile tourne au guet-apens et Dieu ne délaissera pas jusqu'au bout son Église aux mains de ces roquets furibonds qui jouent à la Saint-Barthélemy des discours, faute de mieux. J'ai reçu des conseils de diverses sortes après avoir fait partie, comme vous l'avez vu, de l'exposition des produits chrétiens à Rome et je n'en ai suivi aucun, pour ne pas charger ma conscience même par un atome de la prolongation de ce pitoyable scandale. J'ai refusé d'écrire au pape, comme en avaient eu la pensée, singulière, selon moi, quelques-uns de mes amis. J'ai refusé, par dégoût, d'écrire à l'Univers ou à l'excellente feuille de Modène3. Il était inutile d'écrire à mon frère4 qui était dans son lit avec une petite vérole volante. Finalement, je me suis borné à écrire à un évêque du parti modéré, m'efforçant d'allier le respect à la sincérité et ne cachant point qu'à mon sens ce sont aujourd'hui ces modérés se prêtant à tout ce que veulent les violents, sous forme anodine, qui ont désormais la responsabilité puisqu'ils forment la majorité.

Mais, hélas ! cher ami, je ne voulais échanger avec vous qu'une simple condoléance et je me laisse entraîner malgré moi à ce qui préoccupe et domine toutes nos pensées. Le prince Galitzin qui se charge de ce petit mot le complétera si vous voulez bien l'interroger sur le Bourg d'Iré. J'espère qu'en retour il me donnera de Madame de Meaux5 des nouvelles complètement bonnes et de vous meilleures. Je vous embrasse, très cher ami, avec une tendresse qui n'a jamais été plus profonde, car elle n'a jamais été si triste.

A. de Falloux

 

*Lettre éditée in Charles de Montalembert, Correspondance inédite 1852-1870, Paris, Cerf, 1870.

1Membre d'un mouvement formé au XIème siècle à Milan partisan d'une réforme du clergé. Par la suite le mouvement. Par la suite le nom deviendra synonyme d'hérétique.

2Mazzini, Giuseppe (1805-1872), révolutionnaire et patriote italien. Ardent républicain, il fut l'un des pères de la nation italienne.

3Il Diritto cattolico, journal catholique de Modène, voir lettre de Falloux à Mgr Freppel de mars 1870.

L'Univers s'était empressé de reprendre l'information divulguée par La Gazette d'Augsbourg du 12 février et reprise par Il Diritto cattolico et selon laquelle Falloux aurait écrit au P. Gratry « L’Église n'a pas encore fait sa révolution de 89 ; elle a besoin de la faire ». Quelques jours plus tard, le 17 février, le pape avait vivement réagi sans toutefois dénoncer personne au cours d'une allocution : « Il n'est pas vrai que la religion ait besoin de réformes, il n'est pas vrai qu'il importe de l'établir sur les principes de 89 ».

4Mgr Frédéric de Falloux, son frère, est alors régent de la Chancellerie apostolique.

5Élisabeth de Meaux, (1837-1913), fille aînée de Charles de Montalembert et de Marie-Anne de Mérode (1818-1904), elle avait épousé, en 1858, Camille de Meaux.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «27 février 1870», correspondance-falloux [En ligne], BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Année 1852-1870, Second Empire, CORRESPONDANCES, Année 1870,mis à jour le : 17/03/2014