CECI n'est pas EXECUTE 23 juillet 1871

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23 juillet 1871

Alfred de Falloux à Pauline de Castellane

Dimanche, 23 juillet 1871

Chère Madame,

Mes trois moitiés (n'écoutez pas Bertou sur cette expression dont il voudrait sacrifier la vérité à la grammaire) sont installées à Caradeuc, mais la tristesse et l'inquiétude dominent dans les lettres de Marie, et quoiqu'elle ne m'adresse aucun appel, je vais retourner près d'elle, aussitôt les affaires du Bourg d'Iré réglées à la hâte. Quoique ce soit là l'impérieux motif qui me fait sacrifier Rochecotte, veuillez n'y faire aucun allusion dans vos lettres dont Mme de Caradeuc1 demande toujours la lecture. Demeurez en outre bien convaincue que plus nous serions triste à Caradeuc, plus nous vous appellerions, y compris vos trois chers petits trésors. Ce serait un rayon effaçant un instant le nuage, et, en tous cas, la plus douce des consolations, pour le chagrin qu'elle ne dissiperait pas. En attendant voici mon itinéraire, sauf la grâce de Dieu. Je partirai demain matin, après la réception du courrier, c'est-à-dire vers huit heures. J'irai déjeuner à l'Allori2 ou à Segré afin de ne pas avoir à revenir chez le sous-préfet et chez le maire, avec qui j'ai des affaires de souscriptions et de secours à traiter, et, soit le samedi, soit le lundi, je partirai pour la Bretagne. Soyez bien sûre, chère chère Madame, que tout murmure de votre part contre moi serait une ingratitude. J'avais caressé le voyage de Rochecotte avec toutes les tendresses de mon cœur, et je l'avais même nourri de plusieurs mauvais sentiments, ddont je vous ferai la confidence de vive voix ; mais le mauvais, comme le bon, a dû céder à ce qui lui est supérieur, c'est-à-dire, un vrai devoir envers la pauvre Marie et envers Loyde qui, sans avoir autant d'appréhensions que sa mère, a cependant une très grande clairvoyance et une très vive sensibilite pour tout ce qui touche à sa chère petite bone maman. Pensez bien à nous tous dans la chapelle de Rochecotte, car c'est de là seul que peut nous venir la vraie préservation.

Voilà encore l'Assemblée qui retombe dans son ancien décousu en demandant une annulation, quand le bureau demande une validation. Néanmoins, le discours du duc Pasquier, et la citation de M. de Ravinel3 ont évidemment mis la gauche fort mal à son aise, et je ne serais pas étonné que M. Thiers fut sérieusement mis au pied du mur d'ici à peu de temps. Je vous quitte, chère, chère Madame, mais sans vous dire adieu, et c'est moi, à mon tour, qui vais vous parler de fraicheur et de brise de mer ; bien sûr que vous ne voudrez point être vindicative, et que, si la Bretagne était aveuglément sacrifiée par la Place Hoche, elle ne le serait point par nous. Merci mille fois d'avance.

Alfred

 

 

1Emilie-Marie-Charlotte de Caradeuc, née de Martel (1801-1882), mère de Marie de Falloux.

2La Lorie, château des Saint-Genys, à La Chapelle-sur-Oudon, une commune du Segréen.

3Ravinel, Charles de, baron (1839-1905), homme politique. Conseiller général des Vosges sous l'Empire, il avait été élu député des Vosges à l'Assemblée nationale du 8 février 1871. Siégeant avec le centre droit, il venait de proposer le transfert à Versailles des administrations et des services publics. Cette proposition sera rejetée. Le 20 juillet 1871, il avait présenté un projet établissant un service obligatoire pour tout français âgé de vingt à quarante ans.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «23 juillet 1871», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1871,mis à jour le : 12/05/2014