CECI n'est pas EXECUTE 25 août 1871

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25 août 1871

Alfred de Falloux à Pauline de Castellane

Caradeuc, 25 août 1871

 

Chère Madame,

Je ne trouvais pas de meilleure consolation au chagrin de votre départ que de vous obéir, et je m'étais mis tout de suite à la dictée de la conversation Thiers ; mais cela m'a bien mal réussi, et j'ai été promptement forcé de m'interrompre, pour aboutir à une crise des plus aiguë ; j'en suis encore bien mal sorti, mais cependant je ne veux pas être le seul à ne pas vous exprimer des regrets que j'ai la juste prétention de ressentir plus vivement que personne. Quelque court qu'ait été votre séjour, je vous en remercie profondément, puisqu'il a achevé de vous associer au seul point de notre vie qui vous était demeuré étranger !

Bertou vous a annoncé hier à ma place, que le général de Cissey1 promettait enfin la médaille à M. Debrais2, dans un prochain décret. Je me suis hâté de transmettre cette espérance à l'oncle Cosmier pour qui ce sera une goutte de douceur dans un plein vase d'amertume. Les nouvelles du Bourg d'Iré sont fort tristes ; le blé germe sous la pluie, avant d'être rentré dans le grenier. Le prix hausse, sans qu'on puisse rien livrer, et la misère redouble.

Je reçois à l'instant une lettre d'Albert [de Rességuier], m'annonçant en primeure la transaction Rivet3? Si vous étiez là, j'aurais couru vous la porter ; mais il faut réprimer ce mouvement, et laisser le premier journal venu prendre demain ma place. Je voulais écrire à Boni, pour le charger de toutes mes commissions envers père et mère ; mais je suis encore obligé de tout abréger ou de tout supprimer, bon gré, mal gré, et j'invoque la compassion de tous. Charles de Lacombe m'écrit du Mont-Dore que, avant de quitter Versailles il a écrit à M. Thiers, pour vider son cœur et décharger sa conscience. Tout le monde en vient là successivement, et cependant, il tient bon ! M. de Monti4 est aussi au Mont-Dore, et paraît ne point se dissimuler les tristes résultats du manifeste5, qu'il impute aux conditions acceptées sans mandat par certains légitimistes de la Chambre. Et quand cela serait vrai, autant que cela est contestable, qu'y avait-il de plus simple que d'appeler ces légitimistes-là près de soi, au lieu de leur fermer la porte, et de s'expliquer avec ses cousins, au lieu de tout trancher sans eux et sans personne ? On vous aura, sans doute <mot illisible> de notre lecture de Mgr de <mot illisible> que ma crise a interrompu. L'opuscule est en tout digne de son auteur ; mais les deux coups de grosse caisse donnés en son honneur deviennent incompréhensibles. Vous allez en juger, car l'envoi vous sera fait demain sans plus de retard. Croyez bien, chère, chère Madame, que je n'ai jamais senti davantage combien il entre de générosité dans la bonté qu'on veut bien encore me garder.

Alfred

 

P.S. Bertou vient de recevoir une lettre de Marie du 20 s'annonçant toujours pour la fin de septembre. Il donne de vos nouvelles par le même courrier.

 

1Ernest Louis Octave Courtot de Cissey (1810-1882), général et homme politique. Sorti de l’École de Saint-Cyr, il servit en Algérie puis participa à la guerre de Crimée et à la guerre de 1870 comme général. Élu à l'Assemblée nationale en juillet 1871, il est nommé à plusieurs reprises ministre de la Guerre, et brièvement président du Conseil dans un ministère de droite et de centre droit (22 mai 1874- 10 mars 1875).

2Secrétaire de Falloux.

3Rivet, Jean-Charles (1800-1872), préfet et homme politique. Député de Corrèze sous la Monarchie constitutionnelle (1839 à 1846), puis représentant du Rhône à l'assemblée constitutionnelle de 1848, il fut élu par la Corrèze à l'Assemblée nationale du 8 février 1871 où il s'inscrivit au centre gauche et apporta un soutien sans faille à la politique de Thiers. Sa proposition, instituant la présidence de la République à la place du titre de chef du pouvoir exécutif détenu par Thiers, sera adoptée le 31 août 1871 par l'Assemblée nationale qui, dans le même temps se déclare constituante.

4René Monti de Rezé, comte (1848-1934), propriétaire légitimiste, aide de camp du comte de Chambord. Il avait été chargé de l'Ouest de la France en cas d'insurrection monarchiste. Il est l'auteur de Souvenirs du comte de Chambord.

5Le 5 juillet 1871, le comte de Chambord avait publié un manifeste dans lequel il affirmait son attachement au drapeau blanc annihilant une nouvelle fois les espoirs de ceux qui aspiraient à la réconciliation entre orléanistes et légitimistes.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «25 août 1871», correspondance-falloux [En ligne], 1871, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Troisième République,mis à jour le : 12/05/2014