CECI n'est pas EXECUTE 23 janvier 1852

Année 1852 |

23 janvier 1852

Bourg d'Iré, 23 janvier 1852*

Monsieur le rédacteur,

J'apprends, avec une reconnaissance pleine de regrets, que plusieurs de mes compatriotes songent à m'envoyer au Corps législatif. L'état de mes forces ne me laissant pas l'espoir de remplir convenablement ce mandat, la conscience ne me permet pas non plus de l'accepter, et je me hâte de le déclarer publiquement, afin que les électeurs puissent aussitôt se concerter pour un autre choix.

Je tiens également à rendre public le motif de ma retraite, dans la crainte que l'on ne se méprenne sur ma pensée, et qu'on attribue, soit au découragement, soit à l'hostilité systématique, un acte uniquement, et absolument fondé sur des considérations personnelles et privées.

Loin de vouloir donner un signal politique, j'ai pris et j'exprime ma résolution sans avoir consulté aucun de mes anciens collègues ; et j'ose, au contraire conseiller instamment à mes amis de redoubler de dévouement, d'activité, d'énergie, partout où ils seront assez heureux pour contribuer au service du pays.

On accorde volontiers aux légitimistes que leurs principes sont favorables à la grandeur des nations ; mais on leur reproche de trop sacrifier à un idéal qu'ils ne sont pas en mesure de réaliser, d'immoler trop aisément le présent et ses périls à des vues, à des sécurités lointaines. Je crois sentir aussi vivement que qui que ce soit au monde par où pèche cette accusation ; mais aucun observateur attentif ne niera sa portée : elle s'est notablement amoindrie depuis trois années ; notre persévérance dans les mêmes voies la détruira complètement.

Le scrutin du 20 décembre n'est point passible des mêmes protestations que plusieurs fait antérieurs. Il place le point de départ et le point d'appui là où tous les hommes de bien peuvent l'admettre.

Peu après la révolution de Février, j'écrivais à l'Union de l'Ouest : « L'instinct des masses est souvent -pas toujours – supérieur à l'habileté des hommes d’État. » Cela m'a frappé de nouveau le 20 décembre. Ce scrutin, dégagé de circonstances sur lesquelles je n'ai pas à m'expliquer aujourd'hui ; ce scrutin, pris dans son sens le plus général, atteste deux sentiments de profonde justesse. Ces deux sentiments, les voici : -Il n’y a pas pas, pour un grand peuple, de prospérité sans autorité. - Il n’y a pas d'autorité sans unité.

Tout le salut et l'avenir de la France sont là.

Quoique j'aie fort à cœur de m'abstenir des récriminations dont d'autres abusent depuis quelque temps on ne peut disconvenir que les contradictions et les divisions n'aient joué un déplorable rôle dans les régions officielles. Un petit nombre de personnages, monarchiques cependant, semblaient s'appliquer à rendre le rétablissement de la monarchie impraticable, tandis que la plupart des républicains ne travaillaient qu'à rendre le maintien de la république impossible. L'opinion, en dehors des sphères élevées, suppliait vainement : ces difficultés ne pouvaient se vaincre que d’en haut, et le vœu des citoyens isolés est impuissant quand les inspirations supérieures font défaut. Le 2 décembre devait donc être prévu : il est autant l’œuvre de ses victimes que de ses auteurs.

Du reste, si je rappelle un passé qui, d'ailleurs, ne peut être mis en doute ni en oubli, c'est pour y trouver le droit de dire hautement à ceux auxquels je m'adresse : Continuez à faire entendre partout et toujours le langage désintéressé de l'union et du patriotisme ; demeurez également loyaux envers les puissants et envers les proscrits ! Parlez, plus que jamais, aux partis de réconciliation, au pouvoir de modération et d'équité, aux populations de moralité et d'ordre ! J'omets à dessein une mention de liberté ; ce mot serait mal compris dans ce moment. Il viendra à son jour, et résultera naturellement de c es premières conditions mises en pratique avec sincérité.

Parlez aussi de patience aux emportés. Les peuples troublés par de longues et multiples révolutions ne retournent point à la vérité par un simple élan de foi ; ils n'y reviennent que par l'épuisement de l'erreur. Quiconque aplanit un obstacle, efface une amertume, dissipe un préjugé, accélère ce retour. Faire aimer sa cause a été de tout temps l'une des meilleures manières de le servir : de nos jours, il n'y en a plus d'autre. Défendre la société dans ses principes essentiels, c'est se vouer à une cause où Dieu daignera prendre pour lui ce qu'on aurait fait pour elle. Que cela suffise ) notre courage comme à notre ambition.

La polémique des anciens partis est interdite pour longtemps : nous devons souhaiter que ce soit pour toujours ; mais la lumière et le discernement se referont promptement dans notre intelligent pays.Les hommes ne vont plus se mesurer par leurs ardeurs, par leurs passions ; ils auront à se produire par leurs actes réfléchis, par leurs mérites sérieux, réels, immédiats. Eh bien, soit ! Dans toute carrière où la France est intéressée, où sa destinée est en jeu, nous ne devons être ni absents no surpassés.

Je supplie donc mes amis de Maine-et-Loire de donner, en ce moment, un exemple qu'il m'est douloureux de ne pas leur offrir ? J'envierai, qu'ils en soient bien sûrs, autant que j'applaudirai ceux qui continueront ce travail de paix et de rapprochement auquel j'ai consacré, sans l'ombre d’une restriction, tous les efforts de ma courte existence politique.

Veuillez agréer, Monsieur le rédacteur, avec mes remerciements, les sentiments les plus distingués.

De votre très humble serviteur, A. de Falloux

 

*Ernest Merson, Du 24 février au 2 décembre, E. Dentu, 1869, annexe, p. 154-157.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «23 janvier 1852», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1852,mis à jour le : 20/07/2014