CECI n'est pas EXECUTE Février 1880

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Février 1880

Alfred de Falloux à Jules de Bertou

Février 1880

Cher ami,

M. Penaud1 vous a appris lui-même son absence et son heureux succès, je n'ai donc plus maintenant qu'à réparer le passé.

Je vois que vous avez parfaitement deviné le candidat mystérieux et vous pouvez être sûr que je ne négligerai rien pour le servir, si le blé et moi nous pouvons obtenir merci de ce rude hiver.

J'ai applaudi votre Montalembert autant que Taine2 et Dumas3 et vous avez très bien fait de faire écrire à Lavedan, car, pour moi, je n'ai jamais rien obtenu du directeur du Correspondant. Il est de plus en plus absorbé dans des occupations supplémentaires ; dans la préoccupation de ses enfants, de sa fille surtout, et ses charmantes lettres me sont peu à peu près complètement supprimées. Pour d'autres raisons, il n'y a pas à compter davantage sur Henry Cochin4; le mauvais sort qui pèse sur les honnêtes gens n'épargne rien ! Je m'étonne que pour Montalembert vous vous en soyez tenu à son discours académique. Si vous relisez tout le volume, vous le trouverez rempli des vérités les plus vibrantes et les plus actuelles, y compris la main-mise de l’État sur les chemins de fer, mais vous êtes peut-être découragé et on le serait à moins. Je crains que vous n'ayez pas assez remarqué la date de la réponse à M. Droz5 ; c'était la courte période où Montalembert justement effarouché de 1848 se préparait le remords du 2 décembre. Il est très aisé et très juste de dire que la Constituante a été fort imprévoyante : mais prétendre qu'elle a pensé, parlé et légiféré en l'air et en vain, c'est tout autre chose. Je ne l'accordais pas à M. Taine, quand nous lisions son volume ensemble ; je ne vous l'accorderai pas davantage aujourd'hui ; même en relisant Montalembert.

Le duc Pasquier doit être reçu le 19 février et le scrutin est fixé au 24.

Pourquoi dites-vous que j'ai déplacé St Jérôme ? Il est demeuré très intact à sa place et je ne lui aurais certainement pas substitué un général républicain, quel qu’opportun que m'eut paru ce témoignage.

Vous ne dites rien de Montesquieu ? Il n'a pourtant pris non plus la place d'aucun saint.

Et Jules André6, n'a-t-il pas fini par vous expliquer où il avait été pêché le Cavaignac tout entier ? Vous n'êtes guère compatissant pour la curiosité, cher ami, et j'espère que cette lettre-ci vous donne une belle leçon !

Alfred

 

 

 

1Son secrétaire du moment.

2Taine Hyppolite Adolphe (1828-1893), essayiste et historien. Auteur d'un Essai sur Tite-Live couronné par l'Académie française en 1854, il avait publié deux ans plus tard Les Philosophes français du XIXe siècle, ouvrage dans lequel il critiquait la philosophie spiritualiste enseignée par l'Université. Son œuvre la plus importante demeure ses Origines de la France contemporaine qu'il commença à publier en 1876. Il collabora à plusieurs périodiques dont la Revue des deux Mondes et le Journal des Débats. Candidat à l'Académie française en 1874, il avait été battu par Elme Caro, ses idées philosophiques déplaisant à Mgr Dupanloup et à certains de ses proches. Considéré peu à peu par ceux-ci comme étant « anti-révolutionnaire », Taine sera élu le 14 novembre 1878 en remplacement de Louis de Loménie. Mort peu avant son élection, Mgr Dupanloup aurait même songé à lui apporter sa voix.

3Dumas Jean-Baptiste (1801-1884), chimiste et homme politique. Membre de la Législative en 1849, ministre de l'Agriculture et du commerce en 1851, il deviendra sénateur en 1852. Candidat à l'Académie française, il ne sera élu qu'en 1875, au siège de François Guizot.

4Henry Cochin (1854-1926), fils d'Augustin Cochin, l'ancien directeur du Correspondant et ami de Falloux, homme politique, il était spécialiste de l'histoire et de la littérature italienne de la Renaissance.

5Editeur parisien.

6Rédacteur en chef de L'Union de l'Ouest.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «Février 1880», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1880,mis à jour le : 11/04/2019