CECI n'est pas EXECUTE 26 mars 1879

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26 mars 1879

Alfred de Falloux à l'abbé Couvreux

26 mars 1879

Cher Monsieur l'abbé,

Je réponds à votre lettre mais pas à votre attente car les choses se sont passé tout autrement que vous l'espériez. Les évêques devant arriver le lundi1, je suis allé dés le dimanche chez le concierge homme très exact et que je connais de vieille date, lui remettant trois cartes sur lesquelles étaient écrites : pour Mgr l'archevêque de Tours2 – pour Mgr l'archevêque de Rennes3 – pour Mgr l'évêque de Laval4, plus une quatrième pour Mgr Sauvé5, recteur de l'Université angevine, portant ces mots : M. de Falloux est venu pour avoir l'honneur de voir Mgr Sauvé et aussi pour lui demander une invitation à la fête universitaire de mardi soir. Le lundi matin j'ai reçu la réponse suivante de Mgr Sauvé : « Monsieur le Comte, aucune invitation n'ayant été faite en dehors du corps universitaire, je regrette vivement de ne pouvoir accéder au désir que vous m'avez manifesté, si honorable d'ailleurs qu'il soit pour notre œuvre.

Des évêques aucun signe de vie. Le mardi matin M. Penaud est allé lui-même chez le concierge demander si mes cartes avaient été fidèlement remises ; il répondit très affirmativement et en preuve de son exactitude rendit à M. Penaud6 ma carte pour l'évêque de Laval qui n'était point venu pour cause de maladie. Toute la journée du mardi s'est passée dans le même silence et ce matin mercredi tous les évêques doivent être repartis. Dans ces conditions je n'ai pas cru devoir retourner à l'évêché, pas même pour les commissions de Madame de Castellane qui auraient pu paraître un prétexte pour forcer les portes, car ne pouvant pas venir, s'ils étaient trop absorbés dans les galas les évêques auraient pu m'envoyer un message quelconque. Du reste Madame de Castellane n'y perd rien car le retour de chaque prélat dans son diocèse était fixé et annoncé d'avance. Pour moi j'y gagne deux visites de moins à faire quand j'irai à Tours et à Rennes, et cela vaut bien la petite tristesse que j'ai éprouvé un instant hier au soir pendant ma solitude au cul des sacs des Jacobins7, tandis que l'Université angevine était en fête sous la présidence de sept évêques ! Durant leur séjour ils ont dû signer une protestation qu'on dit très ferme et très modérée, en revendication de la loi de 18508 et de 1875.

Le Père At est venu me voir avec la même douceur et la même sainteté, m'apportant l'engagement écrit de me donner pleine satisfaction, engagement que j'ai aussitôt déchiré et jeté dans le feu devant lui pour lui bien témoigner ma confiance. Je ne doute pas qu'il ne m'ait accordé autre chose si je le lui avais demandé, mais je n'ai jamais vu son lire, je n'en connais absolument que ce que vous m'avez montré à Rochecotte il y a deux ans et ce que vous avez eu la bonté de m'en écrire il y a huit jours et je serais bien en peine pour lui adresser aucune autre réclamation.

Toutes les nouvelles sont aussi bonnes que les miennes et malheureusement beaucoup plus importantes ce qui est loin de diminuer mon désir de prendre le chemin de St Patrice9.

J'attends tout-à-l'heure Madame de Caradeuc10 et Loyde11 par un temps très doux et c'est leur état de plus ou moins de fatigue qui réglera tous mes mouvements. Pour le cœur il est plus indépendant et vous quitte peu.

Falloux

P.S. La lettre de l'Univers sur Mgr Mermillod12 n'est-elle pas de l'abbé Rouquette13 ?

Souvenirs respectueux de M. Penaud pour vous et pour Madame de Castellane.

1Mgr Freppel, évêque d'Angers, avait convoqué pour le 25 mars 1879 l'archevêque de Tours, l'archevêque de Rennes et cinq ou six autres évêques pour s'occuper de l'université catholique qui venait d'être créé à Angers. Falloux voulait profiter de cette occasion pour s'entretenir avec certains de ces prélats. Mgr Freppel, son grand ennemi, mit à mal son projet.

2Colet Charles II Théodore (1808-1883), vicaire général de Dijon en 1839, évêque de Luçon (1861-1874), il avait été nommé archevêque de Tours en 1874.

3Mgr Place Charles Philippe (1814-1893) avait succédé, le 15 juin 1878, à Mgr Brossay Saint-Marc à la tête de l'archidiocèse de Rennes. Ordonné prêtre en 1850, il fut vicaire de Mgr Dupanloup à Orléans, puis partit séjourner à Rome comme auditeur de Rote pour la France. Préconisé évêque de Marseille en 1866, il fit partie de la minorité opposé au dogme de l’infaillibilité pontificale. Autant dire que Mgr Place était plutôt de l'école de Mgr Dupanloup que de celle de Mgr Pie.

4Le Hardy du Marais, Jules-Denys-Marie-Dieudonné Le Hardy avait été sacré évêque de Laval le 24 septembre 1876.

5Mgr Sauvé Henri (1817-1896), théologal du Chapitre de Laval et premier recteur de l'Université catholique d'Angers.

6Secrétaire de Falloux.

7Falloux séjournait dans son appartement Impasse des Jacobins, à Angers.

8La loi de 1850 est aussi dite loi Falloux, celle de 1875 en est son pendant au niveau universitaire car elle autorise l'Eglise à créer ses propres universités, il y en aura cinq, à Paris, à Lyon, à Toulouse, à Lille et à Angers.

9Commune de l'Indre-et-Loire, sur laquelle est situé le château de Rochecotte.

10Emilie-Marie-Charlotte de Caradeuc, née de Martel (1801-1882), mère de Marie de Falloux.

11La fille des Falloux.

12Mermillod, Gaspard (1824-1892, ordonné prêtre en 1847, il fut nommé curé à Genève (1857), chargé du canton de Genève (1864), puis vicaire apostolique de Genève, détaché de Lausanne (1873), ce qui provoqua une réaction du gouvernement suisse et son exil. Intransigeant, proche des frères Veuillot, il figurait parmi les partisans les plus ardents d'une définition de l'infaillibilité pontificale. Il sera nommé cardinal en 1890.

13Rouquette, Géraud (1826-1911), prêtre du diocèse de Toulouse (ordonné en 1851) et chanoine du diocèse de Bordeaux. Prédicateur et missionnaire.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «26 mars 1879», correspondance-falloux [En ligne], 1879, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Troisième République,mis à jour le : 18/03/2019