1877 |
21 septembre 1877
Alfred de Falloux à Jules de Bertou
21 septembre 1877
Cher ami, je partage tout-à-fait votre enthousiasme sur la proclamation du Maréchal. Je la trouve, pour le fond et pour la forme, dans la mesure exacte de ce qu'exige la situation : statu quo consenti par presque tout le monde jusqu'en 1880 ; rien d'indiqué, rien d'imposé au-delà de 1880. Assurément Montesquieu1 et M. de Tocqueville trouveraient qu'un peuple qui ne veut rien prévoir au-delà de dix-huit mois est bien imprudent : je le trouve aussi. Je le trouvais même, aux premiers jours du septennat ; mais rien ne ressemble moins à Montesquieu que le suffrage universel. Il a juste l'esprit des anciens chevaux de poste qui allaient d'un relais à l'autre sans s’inquiéter du relais suivant. Maintenant, profitez du saint lieu où vous êtes pour obtenir que le Maréchal n'aille pas rejoindre M. Thiers2. Grâce à lui, nous pourrons peut-être gagner de n'être point pendus. Mais s'il venait à nous manquer ? Comment l'Union a-t-elle reçu le manifeste3 ? Est-elle aussi raisonnable que l'Univers qui, l'Univers étant donné, se montre très satisfait ?
Je reviens maintenant à nos cadres qui, après les élections générales, sont ce qui me préoccupe le plus. L'une de vos deux dernières lettres a commis une méprise sur le nœud, mais cela n'importe plus, et les proportions auxquelles vous réduisez ce nœud désormais le rendent très inoffensif. Mais précisément parce que vous le réduisez à très peu de chose, à qui sert-il ? Je ne le vois pas bien, et je préfère les quatre côtés pareils et tous quatre de 0.11 p. à moins que vous ne trouviez un grand avantage au nœud qui n'en est pas un et que vous ne me le fassiez comprendre. Pendant que vous êtes en train de prendre des ennuis à ce sujet, voudrez vous bien demander à M. Aubin si M. Maurice lui a remis un bout de cordon vert qu'il a emporté afin que M. Aubin me préparât dix ou douze mètres de corde verte de la même nuance pour pendre les nouveaux tableaux4 ?
M. Aubin est-il bien sûr aussi de sa mesure du portrait de mon frère ? L'a-t-il bien prise sur les quatre côtés, sans préjuger le haut par le bas ? Rossi5 nous avait écrit qu'il y avait une légère différence. Je l'ai dit à M. Aubin, mais je ne me rappelle pas m'être assuré qu'il l'avait fait. S'il avait un doute, il serait très aisé de faire reprendre la mesure par Livergne. Mad. de Caradeuc6 a été moins bien, depuis deux jours. M. Letort lui a fait prendre médecine hier : elle s'en trouve bien.
Alfred
1Montesquieu, Charles Louis de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu (1689-1755), écrivain français et philosophe des Lumières, auteur, entre autres ouvrages, des Lettres persanes.
2A. Thiers, qui avait été le prédécesseur de Mac Mahon à la tête de l'état venait de mourir, le 3 septembre.
3Le 19 septembre 1877, Mac-Mahon avait lancé un manifeste au pays dans lequel on pouvait effectivement lire «... je resterai pour défendre, avec l'appui du Sénat, les intérêts conservateurs... »
4Son frère Frédéric de Falloux venant d'être nommé cardinal, il s'agit sans doute des mesures concernant un nouveau portrait du prélat.
5Rossi Giovanni Battista (Carlo) de (1822-1894), archéologue italien. Fondateur de l'archéologie chrétienne, il devint célèbre à l'étranger pour ses découvertes des catacombes chrétiennes.
6Emilie-Marie-Charlotte de Caradeuc, née de Martel (1801-1882), mère de Marie de Falloux.
