1877 |
27 octobre 1877
Alfred de Falloux à Mgr Dupanloup
27 octobre 1877
Cher Seigneur, ce n'est assurément pas le zèle qui me manque mais ce sont les lumières et l'on ne peut viser juste quand on tire si loin.
Je ne m'obstine point à dire: hors du ministère actuel point de salut; je dis seulement: hors du maréchal et du parti conservateur, cataclysme universel et très prochain. La retraite du Maréchal1 serait la désertion devant l'ennemi: il n'y a donc même pas à la discuter. je n'ai aucune objection personnelle contre le maréchal Canrobert2, mais les orléanistes ne l'accepteraient à aucun prix, ils ont une des clefs du Sénat dont vous ne pouvez vous passer. Le général Ducrot3, qui a une couleur politique moins tranchée, serait, je crois, plus généralement accepté, mais je crois savoir de bonne source que le maréchal ne l'aime pas. Le duc Pasquier a entre autres qualités, celle de n'avoir pas encore été essayé; mais les bonapartistes le repousseront à outrance, et ils ont une autre clef du Sénat. Ce sont donc, cher seigneur, des questions qui ne peuvent se résoudre que sur place dans des délibérations communes avec les trois groupes4 qu'il est difficile de satisfaire, mais dont il est impossible de se passer. Quant à la dissolution, c'est au ministère qui prévaudra en fixer l'heure et les moyens.
Croyez, cher seigneur, qu'on ne peut être plus touché de votre lettre que je ne le suis, et croyez bien aussi que je me dédommage par les vœux de tout ce qu'il m'est interdit de faire autrement.
Alfred
2Ancien aide de camp de Louis-Napoléon Bonaparte, le maréchal de Canrobert est un des leaders du parti bonapartiste. Canrobert, François-Marcellin Certain de (1809-1895), militaire et homme politique. Diplômé de l’École spéciale militaire, lieutenant en 1833, il fut envoyé en Algérie de 1835 à 1850. Aide de camp du prince Louis-Napoléon, il prit une part active dans le coup d’État du 2 décembre. Entré au Sénat en 1855, il fut nommé maréchal de France le 18 mars 1856. Il commanda en Crimée et pendant la guerre de 1870-1871. Élu sénateur du Lot (1876) puis de la Charente (1879), il siégea avec le groupe de l'Appel au peuple.
3Ducrot, Auguste Alexandre (1817-1882), militaire et homme politique. Général de division, il commandera quelques jours plus tard la bataille de Buzenval (19 janvier 1871). Élu à l'Assemblée nationale du 8 février 1871 par le département de la Nièvre, hostile à la République, il rejoignit les bancs de l'Union des droites. Nommé commandant en chef de la 8ème armée à Bourges le 1er septembre 1872, il démissionnera de l'Assemblée.
4Ces trois groupes sont la droite modérée, le centre-droit et le centre-gauche.
